Bien avant le Requiem de Berlioz, la huitième symphonie de Mahler et les Gurrelieder de Schönberg, nombre de compositeurs baroques italiens contemporains du Concile de Trente poussèrent la polychoralité à ses extrêmes. On sait l’amour du spectaculaire et les qualités d’extraversion de Hervé Niquet. Benevolo, puisque c’est ainsi qu’il tient à appeler celui que nous connaissons le plus souvent sous le nom de Benevoli, lui avait valu un premier enregistrement, il y a dix ans, chez Naxos. Entretemps, épris du flamboiement de cette littérature, il l’a illustrée à l’occasion de concerts, où le compositeur romain était associé à Striggio et autres architectes du grandiose.
Fils d’un immigré lorrain, pâtissier, Robert Venuot, Orazio Benevoli, après avoir été enfant de chœur de l’Eglise Saint-Louis des Français de Rome, dont Vincenzo Ugolini était maître de chapelle, remplit cette fonction dès l’âge de 19 ans, à S. Maria in Trastevere du Vatican. Représentant le baroque monumental, où la liturgie est prétexte à déploiement de faste, son style connut un tel succès que plusieurs œuvres lui furent attribuées à tort (La Missa salisburgensis, à 53 parties, de Biber, par exemple). Le chœur, proprement atomisé, renonce à l’autel pour les tribunes et balcons que multiplie l’architecture. Ainsi les seize parties de la messe, comme du Magnificat, sont confiées aux 48 chanteurs du Concert Spirituel, autant de solistes de grande qualité dont la jubilation vocale est manifeste.
La messe objet de cet enregistrement, écrite vers 1660, utilise tout l’arsenal disponible pour en renouveler les effets contrastés. De puissants tutti, éclatants et déclamatoires, s’opposent à des passages concertants comme à d’autres, d’une polyphonie luxuriante. Hervé Niquet fait le choix de reconstituer cette messe telle qu’auraient pu l’entendre des fidèles romains de la fin du XVIIe siècle, mêlant plain-chant, motets de Monteverdi, de Palestrina et une pièce d’orgue de Frescobaldi. Outre cet intérêt liturgique et historique, Niquet y trouve des contrastes accusés entre la linéarité du grégorien et la verticalité monumentale de la fastueuse polyphonie.
Son interprétation vise juste : séduire et éblouir sont les deux objectifs de l’Eglise triomphante. Le stile concertato, où voix et instruments dialoguent, la spatialisation des chœurs (les cori spezzati), tout est mis en œuvre pour impressionner. L’harmonie y est réduite par l’abondance des parties vocales et instrumentales, mais cette dimension s’oublie vite à la faveur de la puissance de tutti homophones inouïs. Le Kyrie plonge l’auditeur dans cette nappe sonore mouvante, d’une puissance impressionnante à laquelle il ne peut échapper. La relative détente du Christe, dont la riche polyphonie porte la marque monteverdienne, nous baigne dans le bonheur. Le motet de Palestrina, ici confié uniquement aux vents, est coloré à souhait, d’une lisibilité parfaite. Retenons l’Impressionnant Credo, somptueux, mais dont la multiplicité des lignes comme des sources sonores crée une sorte de halo dont l’enregistrement ne peut rendre compte qu’imparfaitement. Ce foisonnement, cette débauche sonore, amplifiés par l’acoustique des grandes nefs italiennes, devaient produire un effet singulier sur les fidèles. Les cohortes célestes, soutenues par des basses et des fanfares plus vigoureuses que jamais, sont admirables de fougue comme de tendresse. Des 34 motets recensés, celui qui nous est proposé, Regna terrae, mobilise 12 soprani en six chœurs, chacun doté de sa propre basse continue. Des 12 Magnificat, nous découvrons celui à quadruple chœur. Rien, en dehors du texte ne les distingue stylistiquement de la messe écoutée auparavant.
Hervé Niquet réussit le miracle de donner une dynamique expressive idéale à ces oeuvres, malgré leur caractère colossal : extrêmement nuancée, modelant les phrasés, sa direction est exemplaire.
La brochure d’accompagnement est riche et solidement documentée. Denis Morrier y signe une brève et pertinente introduction intitulée « Splendeurs polychorales de la Contre-Réforme ». Les textes chantés sont reproduits et traduits. Un modèle d’édition.
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