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Benjamin Bernheim, Douce France

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CD
3 septembre 2024
Magie de la voix mixte…

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Hector Berlioz

Les nuits d’été, H81, Op. 7
(Théophile Gautier)
I. Villanelle
II. Le spectre de la rose
III. Sur les lagunes
IV. Absence
V. Au cimetière (Clair de lune)
VI. L’île inconnue

Ernest Chausson

(Maurice Bouchor)
Poème de l’amour et de la mer, Op. 19
I. La fleur des eaux
Interlude
II. La mort de l’amour

Henri Duparc
L’invitation au voyage (Baudelaire)
Extase (Jean Lahor)
Phidylé (Leconte de Lisle)
La vie antérieure (Baudelaire)

Joseph Kosma
Les feuilles mortes (Jacques Prévert)
Charles Trenet (et Léo Chauliac)
Douce France
Jacques Brel
Quand on n’a que l’amour

 

Benjamin Bernheim, ténor
Carrie-Ann Matheson, piano

1 CD Deutsche Grammophon
Durée : 79’
Enregistré à Paris, salle Colonne, février 2024
Production musicale, prise de son, mastering : Jakob Händel
Parution : 31 août 2024

C’est en effet quand il se place sous le signe de la douceur que cet album frôle les sommets, quand Benjamin Bernheim ose l’intimité, la confidence, le sotto voce, la délicatesse. Moments où l’on se demande « comment c’est fait », tant la maîtrise s’y laisse oublier (et Dieu sait qu’elle est là) pour ne laisser régner que la poésie la plus tendre et la plus nue.
Dans un texte liminaire, il observe que Berlioz donne pour Au cimetière l’indication « à un quart de voix », ajoutant qu’il y a là « une invitation à détailler toute la palette de la douceur vocale, qu’il s’agisse de la blancheur du désespoir, des transparences de l’apaisement, du moelleux de la sensualité. Sans négliger les quelques éclats forte – qu’il faut se garder d’appuyer à l’excès.» On ne saurait mieux dire.
Non moins assumé, le choix d’être accompagné du seul piano de Carrie-Ann Matheson dans des cycles qui semblent les parangons de la mélodie française avec orchestre. Même si Les Nuits d’été ont été composées initialement pour voix (de ténor ou de mezzo) et piano, pour la plupart en 1840 et orchestrées quinze ans plus tard (exception : Absence, dès 1843). Quant au Poème de l’amour et de la mer, certes composé pour ténor ou mezzo, et créé par le ténor Désiré Demest avec Chausson au piano, comment le dissocier de son orchestre, wagnérien ici, franckiste là ?

Benjamin Bernheim et Carrie-Ann Matheson, récital à Verbier, 24 juillet 2023 © Evguenii Evtiukhov

Les Nuits d’été mettent bien sûr idéalement en valeur les couleurs de la voix de Benjamin Bernheim. Juvénilité et éclat dans Villanelle, la première mélodie, rutilance et rayonnement de L’île inconnue, la dernière, toutes les prérogatives du ténor lyrique sont assumées, avec le naturel qui est l’une de ses marques. Et un français impeccable grâce auquel on ne perd rien des préciosités de Gautier, « pavillon de moire » ou « fleur d’Angsoka ». On y remarque aussi le piano très ample de Carrie-Ann Matheson, complice de longue date de Bernheim dès l’époque de l’opéra de Zurich. Elle reprend la partition de Berlioz qu’elle enrichit de quelques traits s’inspirant des versions avec orchestre.
Mais ce sont les subtilités des quatre mélodies centrales qui font le charme et la poésie de ce cycle.

Quand l’art cache l’art

Le Spectre de la rose est irrésistible : un début tout en demi-teintes, porté par un legato sans faille (et les arpèges liquides du piano), le pur lyrisme d’un savant crescendo à partir de « Tu me pris à peine emperlée », le retour à l’intimité, la transparence du timbre sur « Ce léger parfum est mon âme », la soudaine rutilance héroïque sur « j’arrive » (j’arriveuh, plutôt…), le passage insensible en voix mixte sur « l’albâtre où je repose »… On s’en veut de détailler tout cela, tant l’art cache l’art…

Les mêmes passages insensibles entre voix allégée, presque diaphane, et puissants forte, sans jamais de rupture dans la ligne musicale (pas de couture apparente !) font toute l’émotion de Sur les lagunes. Passant de la chaleur des notes graves de « Ma belle amie est morte » à la limpidité innocente de « mon âme et mes amours », de la délicatesse de « sans m’attendre » au fortissimo du premier « Ah ! sans amour s’en aller sur la mer », puissant mais sans pathos, de la voix mixte sur « blanche créature » aux notes hautes ardentes de « mon âme pleure », puis aux notes graves de « la nuit immense », sur les confins de la tessiture, tout semble porté uniquement pas la respiration du sentiment, jusqu’à l’ultime « ah ! » à peine timbré.

Benjamin Bernheim et Carrie-Ann Matheson, récital à Verbier, 24 juillet 2023 © Evguenii Evtiukhov

Dans Absence, Benjamin Bernheim respecte à la lettre les nombreuses indications de dynamique de Berlioz, de même que les doubles points d’orgue demandant de longs silences. Tout, le tempo très lent, la voix retenue même sur les notes hautes des « Reviens, reviens, ma bien aimée », mais « sans négliger les quelques éclats forte – qu’il faut de garder d’appuyer à l’excès », l’effet d’éloignement, de réminiscence que suggère la voix mixte sur le troisième refrain, noté « sotto voce ed estinto », puis la maîtrise du retour insensible à la voix de poitrine, tout est fait pour suggérer « la blancheur du désespoir » et amener à ce qui est selon nous le sommet de cette lecture du cycle de Berlioz, le blêmissant Au cimetière.

Un Au cimetière unique

Faut-il parler de voix mixte, de voix blanche ? Rien n’est plus étonnant que le timbre spectral, lunaire, l’absence de timbre plutôt, que trouve Bernheim pour les premiers vers. Des fantômes, des feux follets se faufilent parmi les ifs… Et puis, toujours sans qu’on perçoive comment il fait, il revient insensiblement en voix de poitrine dans la deuxième strophe sur fatal et sur mal, avant de revenir prestement au sélénien et à l’impalpable, puis de frôler le parlando dans la troisième strophe et de s’envoler « sur les ailes de la musique » dans la quatrième (ici une ritournelle irrésistible du piano, se substituant aux flûtes). La suite ondulera entre voix mixte, quasi falsetto et voix de tête, pour faire surgir belles-de-nuit et un fantôme « aux molles poses »… Étonnante recréation. Seul parmi les ténors, sauf erreur, Michaël Spyres essaie quelque chose de similaire. Un Nicolaï Gedda ou un Ian Bostridge restent eux en voix de poitrine.

Benjamin Bernheim, récital à Verbier, 24 juillet 2023 © Evguenii Evtiukhov

Un autre moment d’exception

L’invitation au voyage est savamment construit, vocalement impeccable, irréprochable. La voix claire dans les notes hautes, radieuse même, la diction scrupuleuse. Que manque-t-il (à notre goût, qui n’est que notre goût…) : le coup d’estompe, le rien de désinvolture, un je ne sais quoi de sensible, un peu de secret, un vrai désir de séduire mon enfant, ma sœur

En revanche, l’autre sublime moment pour lequel il ne faut pas manquer ce disque, c’est Extase (Duparc et Jean Lahor). 3’20 en lévitation. Là aussi, un chant en confidence, avec très peu de voix, des portamentos voluptueux, des passages en voix mixte à mourir d’aise, un abandon à l’heure, une lumière dans la manière d’ouvrir les voyelles (le o de dort), l’ineffable volupté de ce « sommeil doux comme la mort », un charme féminin, enveloppant et doux.

Et Phidylé est de la même eau : un début impalpable, immobile, toujours sur le fil entre les voix mixte et de poitrine. On glissera sur quelques afféteries vénielles (soMMeil, rayoNNe…) pour dire plutôt le rayonnement solaire de la voix, qui donne à voir midi le juste, puis l’apaisement des « Repose, ô Phidylé ! », avant une dernière strophe un peu trop extravertie peut-être…

La vie antérieure est aussi parfait que l’Invitation au voyage. De très grands moyens vocaux, une ampleur impressionnante, quasi opératique, un soin au moindre détail, c’est un bel objet sophistiqué et sans défaut, marmoréen, auquel il ne manque qu’un peu de fragilité, d’ombre baudelairienne, ou tout simplement un public à emporter avec soi.

Benjamin Bernheim et Carrie-Ann Matheson, récital à Verbier, 24 juillet 2023 © Evguenii Evtiukhov

Déferlantes

Le Poème de l’amour et de la mer, associé pour nous à de grandes voix féminines et surtout à des opulences orchestrales qui ont l’avantage de flouter les piètres vers de Maurice Bouchor, déconcerte quelque peu dans cette version ténor-piano. Il faudra l’entendre au concert où la grande voix de Benjamin Bernheim pourra trouver son juste équilibre avec un piano certes orchestral, mais qu’elle domine de toute sa puissance. Ces mélodies qui prennent avec orchestre une ampleur cosmique sont ici victimes de leur grandiloquence. C’est avec soulagement qu’on accueille les moments où tout s’apaise (« Et du ciel entr’ouvert pleuvaient sur nous des roses ») et où la voix retrouve ses suavités.
Après ces déferlantes de pathétique (et de poésie à deux sous), Le temps des lilas, ultime séquence, semblera un bref îlot de fraîcheur, mais il faudra attendre la dernière strophe pour que s’équilibrent enfin la diction (moins appuyée), la voix (apaisée) et une nostalgie touchante et fragile.

Quant aux trois bis qui concluent le disque, Les feuilles mortes*, Douce France et Quand on n’a que l’amour, on avouera que, malgré le soin et les précautions dont Benjamin Bernheim s’entoure (ou à cause de…), ces concessions au cross over nous laissent dubitatif. Là encore, Bernheim exprime la difficulté de l’exercice : toute la question, dit-il, « est de trouver le juste point de gravité, musical et rhétorique. C’est-à-dire ne pas sonner à l’excès comme un ténor d’opéra, mais ne pas dénaturer sa voix non plus. » Gageure tenue ?

* Signalons tout de même une bizarrerie : les premières mesures de la chanson de Kosma et Prévert sont absentes. Pour mémoire, si besoin était, « Oh, je voudrais tant que tu te souviennes des jours heureux où nous étions amis, en ce temps-là la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui, les feuilles mortes se ramassent à la pelle, tu vois je n’ai pas oublié, les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi ». Bernheim ne commence qu’avec « Et le vent du nord les emporte… » Le livret aussi d’ailleurs. Erreur de mastering ou choix biscornu ?

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Benjamin Bernheim

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(Théophile Gautier)
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IV. Absence
V. Au cimetière (Clair de lune)
VI. L’île inconnue

Ernest Chausson

(Maurice Bouchor)
Poème de l’amour et de la mer, Op. 19
I. La fleur des eaux
Interlude
II. La mort de l’amour

Henri Duparc
L’invitation au voyage (Baudelaire)
Extase (Jean Lahor)
Phidylé (Leconte de Lisle)
La vie antérieure (Baudelaire)

Joseph Kosma
Les feuilles mortes (Jacques Prévert)
Charles Trenet (et Léo Chauliac)
Douce France
Jacques Brel
Quand on n’a que l’amour

 

Benjamin Bernheim, ténor
Carrie-Ann Matheson, piano

1 CD Deutsche Grammophon
Durée : 79’
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Production musicale, prise de son, mastering : Jakob Händel
Parution : 31 août 2024

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