(Re)découvrir la musique de chambre de Britten est toujours un plaisir (plaisir qui, depuis le Brexit, s’est teinté de douleur, ou du moins d’amertume). En effet, le disque du Label Linn est consacré à une série d’œuvre pour orchestre de cordes réuni autour de divers instruments solistes. Les deux œuvres majeures s’en dégageant sont le Lachrymae pour alto et orchestre de cordes et la Sérénade pour ténor, cor et cordes.
Cet enregistrement est un moyen pour Linn de mettre en avant un ensemble un peu particulier : les Aldeburgh Strings. L’orchestre fut fondé et promu par Britten et Pears eux-mêmes (vous avez reconnu Aldeburgh, le lieu de résidence et de travail du compositeur) dans le but de promouvoir le travail commun de jeunes talents via un système de cours et masterclasses dans ce petit village du Suffolk. On sent que ces cours intensifs et le grand air britannique ont fait leur effet auprès des jeunes recrues et de leur directeur Markus Däunert, puisque leur performance est souveraine, égale, propre, c’est-à-dire tout ce que l’on attend pour Britten. L’attaque est toujours nette, l’intonation irréprochable et l’on reconnaît un véritable son de groupe.
La première pièce est celle d’un Britten de jeunesse, traitant lui-même de la jeunesse. Young Apollo, pour piano et cordes est une pièce pleine de fougue et de brillance, même si elle n’évite pas un certain côté pompeux. Le piano de Lorenzo Soulès se prête bien à ce jeu de la virtuosité (il faut aimer les gammes) et en offre une interprétation étincelante. Britten se rétractera et fera disparaître sa pièce des programmes jusqu’à sa mort. Passons.
Viennent ensuite un Prélude et Fugue pour orchestre à cordes seul. Le prélude est à la fois rayonnant, mais il possède quelque chose de plus inquiétant au fond, sans doute lié à ce (faux) ostinato à l’octave qui reste tapi sous le premier violon solo de Michael Brooks Ried. Le Prélude fait place à une Fugue tourbillonnante, où Britten multiplie les entrées afin de former une formidable pyramide de voix. Le compositeur témoigne ici de sa maîtrise du langage contrapuntique, langage que le chef d’orchestre semble également garder en vue puisque cette dangereuse ne s’écroule pas passée la quatrième entrée.
Ces mêmes qualités contrapuntiques, Britten les déploie dans son Lachrymae pour alto et orchestre à cordes, ajoutant cette fois-ci le principe du thème et variations (ou plutôt des variations puis du thème). En effet, la pièce de Dowland ne devient que reconnaissable à la fin du morceau (qui dure tout de même près d’un quart d’heure). Le soliste Máte Szücs construit merveilleusement bien les lignes mélodiques qui lui ont confiées, et l’orchestre transparent fait baigner la pièce dans une atmosphère énigmatique et tendue. Toute la dramaturgie de ce morceau est rondement menée par Däunert, qui rend le sens de la forme du compositeur limpide pour tous.
Mais venons-en finalement à la pièce qui nous intéresse le plus en tant que lyricophiles. La Sérénade pour ténor, cor et cordes a bien entendu été composée par Britten à l’intention son compagnon Peter Pears. Les poèmes sont issus de différents auteurs, certains mêmes anonymes, mais ils ont pour point commun la thématique de la nuit. Qu’il s’agisse d’un Nocturne, d’un Dirge (sorte de lamentation funèbre), d’une Elégie ou d’un Hymne, toutes ces formes sont en référence à une ambiance nocturne, tantôt calme et sereine, tantôt angoissée.
Puisque conçu pour un des plus grands ténors anglais du 20e siècle, le cycle se drape d’une écriture vocale virtuose, sollicitant beaucoup les piani des aigus ainsi que de nombreuses vocalises. Bref, la voix doit être agile et fraîche, et le texte (primordial chez Britten) toujours intelligible. Ces trois qualités, Allan Clayton les possède, et il ne se cache pas pour les montrer. Peut-être par moment un tout petit peu trop d’ailleurs. Le « Dirge » semble ainsi très tendu, presque trop bas, mais il fait heureusement figure d’exception, probablement due à la difficulté de la pièce. Le chanteur use du falsetto à profusion, ce qui semble tout à fait recommandable dans ce type de musique. Or, cette technique s’avère parfois un peu inefficace, ou du moins dangereuse (on chante sur des œufs dans le « Pastoral » ou le « Nocturne »). En revanche, elle lui permet d’offrir un « Sonnet » lumineux et rayonnant, convenant tout à fait au style de son compatriote. Clayton semble en effet comprendre parfaitement ce que Britten attend de lui, si bien qu’il serait impossible de remettre le naturel de sa musicalité en question.
Le livret précise que Richard Watkins, ancien corniste solo du Philharmonia, interpréta cette Sérénade pour la première fois en 1983 avec Peter Pears lui-même. Et on le croit volontiers puisque le musicien montre une maîtrise parfaite de la partition. Ses longues tenues aigues de l’« Elegy »nous impressionnent autant que sa capacité à faire vivre la musique en trois dimensions avec les effets d’écho du Nocturne. Le timbre sain et jeune de Clayton se fond avec celui du corniste expérimenté, deuxième et indispensable ténor de cette Sérénade. Le raffinement de Britten est servi en maître dans ce jalon d’une musique qui n’est plus tout à fait européenne (soupir).