L’annonce d’un album de crossover n’est jamais pour réjouir l’amateur d’opéra qui voudrait les chanteurs lyriques entièrement dévoués à son répertoire de prédilection. Après un Mozart excitant en 2017, voir Juan-Diego Flórez coiffer son Panama et attraper sa guitare pour fredonner des chansons de son pays, n’était pas – avouons-le – de nature à nous enthousiasmer.
Diverses circonstances, indépendantes de notre volonté – promis ! – retardèrent de plusieurs mois l’arrivée de ce nouvel album sur nos platines. Nous n’en fûmes pas contrarié outre mesure. Il ne faut jurer de rien. C’était mésestimer l’intelligence artistique d’un des meilleurs ténors du moment, depuis déjà deux décennies.
Loin de roucouler des mélodies rabâchées – « Bésame mucho » est l’une des rares exceptions –, le chanteur péruvien en a tracé le programme comme un guide pointilleux organiserait un grand tour d’Amérique latine en un minimum de temps : le Pérou évidemment, le Mexique mais aussi l’Argentine, le Brésil, Cuba, le Chili, le Venezuela, la Colombie ou encore l’Equateur avec « Sombras », chanson emblématique du pasillo, un genre hissé dans ce pays au rang de symbole national. « Mon but avec cet album était de voyager à travers le continent et de débusquer les canciones que nous aimons tous et qui sont représentatives des peuples qui les ont créées »
Juan-Diego Flórez raconte aussi avoir été bercé par la musique sud-américaine. Enita, sa grand-mère, jouait des tangos au piano. Mate, sa mère, aimait – et aime encore – les rythmes latinos. Depuis son plus jeune âge, la guitare a été sa compagne de chaque instant. C’est en chantant les mélodies de son enfance à ses propres enfants qu’il a redécouvert la beauté de cette musique. Séquence tendresse.
De bons sentiments ne font pas forcément un bon album. A un programme réfléchi, à la relation intime entretenue avec ce répertoire, Juan-Diego Flórez ajoute une voix que l’amateur d’opéra a eu maintes occasions d’apprécier. La beauté intrinsèque du timbre, l’infaillible musicalité, la précision stupéfiante de l’aigu peu sollicité mais toujours à bon escient seraient confiture de lait sur churros si le ténor ne savait contraindre une technique forgée sur l’enclume des opéras rossiniens à l’esprit simple de ces chansons. La reprise variée des couplets de « Bésame Mucho » dénonce à bon escient le belcantiste tout comme la longueur de souffle trahit la fréquentation du répertoire lyrique. Aucune outrance, aucune espagnolade avec ce que le terme peut signifier de vulgarité arrogante ne vient pervertir la sincérité de l’interprétation. La variété des rythmes soulignée au moyen de percussions discrètes et d’arrangements musicaux élégants, où la guitare prédomine, évite toute impression de lassitude. On en oublierait presque Rossini.