Depuis sa création en 2014, Vox Luminis n’a pas ménagé ses efforts pour enrichir la discographie, en particulier dans le répertoire baroque germanique. Sur les plus de 25 albums sortis chez Outhere, ce sont une quinzaine de gravures qui explorent avec talent ce terreau riche et complexe sur lequel la figure centrale de Bach a pu épanouir son exceptionnel génie. Cette nouvelle sortie chez Alpha de l’ensemble conduit par Lionel Meunier propose le Requiem de Franz Ignaz von Biber, mais également des pièces de compositeurs obscurs, légèrement antérieurs – Christoph Bernhard et Johann Michael Nicolai – ou encore de Johann Joseph Fux, digne représentant de la génération suivante, et dont Vox Luminis a d’ailleurs aussi enregistré le Requiem.
Comme le souligne Jérôme Lejeune dans le livret, trilingue et fort érudit, les quatre compositeurs réunis ici semblent n’avoir que peu de choses en commun. Biber et Fux ont composé pour des chapelles catholiques, alors que les deux autres appartiennent au monde luthérien. Rien n’indique dans leur biographie que leurs chemins se sont croisés. L’intérêt de cette confrontation réside dans ce qui les rassemble : une exploitation commune de la polyphonie, dans la grande tradition de la Renaissance, mais également la manière dont l’Italie est venue éclairer leur inspiration et entraîner l’Allemagne dans le grand mouvement baroque. Les motets de Christoph Bernhard et celui de Fux sont à 5 parties, comme le Requiem de Biber. Toutes ces pièces demandent des parties vocales solistes, renforcées par des parties de ripieno mais également par 5 instruments – cordes et cuivres – qui doublent les voix chantées. C’est indubitablement le Requiem de Biber qui montre le plus d’attention à varier les combinaisons entre les effectifs vocaux et instrumentaux, alternant les passages purement homophoniques d’une parfaite verticalité et ceux où les parties s’entrelacent et se répondent. Dans le premier cas, c’est la compréhension du texte qui est privilégiée, tandis que la virtuosité musicale exprime au mieux les émotions dans le second. Biber démontre brillamment qu’il s’est nourri de la polychoralité italienne, de Gabrieli à Monteverdi, tout en l’enrichissant de son extraordinaire technique instrumentale.
Vox Luminis excelle dans cet art délicat de créer un subtil équilibre entre toutes les parties. Il s’agit à la fois de trouver pour chaque voix la couleur idéale, personnelle tout en se mariant bien aux autres, mais également de préciser les volumes que chacun doit déployer. On peut comparer cette démarche à celle du facteur d’orgue qui doit harmoniser son instrument, et trouver la balance adaptée au lieu, pour chaque jeu, puis en couplant chaque jeu aux autres afin de déveloper un instrument unique. Lionel Meunier prend bien soin de ne pas placer à l’arrière-plan les voix intermédiaires et celles plus graves sur lesquelles se construit toute l’harmonie. Il confère à chaque accord une plénitude superbe. Les chanteurs apportent ferveur et intériorité au texte, que Biber a mis en musique avec une attention toute particulière, et qui est parfaitement intelligible.
Vox Luminis entame ici une collaboration avec un nouvel ensemble instrumental : après avoir travaillé avec l’Achéron, A Nocte Temporis, l’ensemble Masques ou les Muffatti, il a choisi pour ce projet le Freiburger BarockConsort, une émanation du Freiburger Barockorchester dans laquelle on retrouve entre autres l’excellente violoniste Petra Mullejans.
Voici donc une version qui peut servir de référence, même si on aurait pu souhaiter un plus grand contraste entre les parties solistes et celles du ripieno, aux effectifs relativement réduits. Pourtant Biber affectionnait les grands déploiements de force, comme dans sa Missa Salisburgensis à 53 voix. On ignore dans quel lieu fut créé ce Requiem de Biber mais il est raisonnable de supposer que ce fut dans un endroit plus imposant, à l’acoustique sans doute plus généreuse que la charmante église Saint-Jean de Beaufays. Il aurait été intéressant de trouver un écrin plus approprié, sachant que Biber adaptait ses compositions aux lieux.
Ces quelques modestes réserves n’enlèvent rien aux grandes qualités artistiques de ce nouvel enregistrement de Vox Luminis qui éclaire de manière fort intéressante l’influence irradiante du baroque italien sur le monde germanique, trop longtemps présumé froid, et d’un austère protestantisme.