On connait Sébastien Guèze comme chanteur, lauréat des Victoires de la musique classique en 2009, et l’un des rares ténors français internationaux de sa génération. Ce court essai nous fait découvrir un artiste lyrique également soucieux d’environnement et qui souhaite alimenter la réflexion sur un thème particulièrement d’actualité : comment l’opéra peut-il diviser par 5 ses émissions de gaz à effet de serre ?
L’accroche est un peu alarmiste : en 2019, la Fenice est inondée. Toutefois, cette accident n’est pas dû au dérèglement climatique, mais à l’aqua alta, un phénomène uniquement causé (du moins jusqu’à présent) par les grandes marées (1,83 m le 12 novembre de cette année-là, et ce n’est pas le record, sachant que l’aqua alta commence à partir de 1m). A cette exagération près, il n’en reste pas moins qu’on peut légitimement penser qu’il n’y a pas de raison que l’opéra échappe aux diverses contraintes actuellement mises en place dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
La première remarque de Séastien Guèze est d’observer que le secteur culturel connait peu son empreinte carbone (et son public moins encore, en particulier les hyper-spectateurs qui sillonnent la planète). La remarque est fort juste. Comme le disait Lord Kelvin : « Si vous ne pouvez pas le mesurer, vous ne pouvez pas l’améliorer ». Sébastien Guèze propose donc en premier lieu de lier les subventions aux institutions lyriques à une démarche de Responsabilité Sociale des Organisations, et à un bilan carbone obligatoire. Fourmillant d’idées (petites ou grandes, bonnes ou pas), le ténor français déroule un véritable catalogue à la Prévert : interdiction des plastiques, politique d’achat locale et bio-sourcée, menus d’entracte sans viande, économies d’énergies sur le bâti, recours à des fournisseur d’énergie renouvelable, billets dématérialisés, encouragement du covoiturage ou du vélo avec des invitations pour les générales… Certaines propositions flirtent avec un protectionnisme assumé : l’inévitable « troupe » dont l’intérêt est surtout de mensualiser des artistes (il n’est pas certain que cet intérêt soit partagé par le public), la commande auprès de partenaires locaux, des castings à empreintes carbone limitées et fiscalité favorisant les artistes du territoire (adieu, Jonas !). La suggestion est d’autant plus étonnante que notre auteur ne prend certainement pas le train quand il est engagé au Met. Sébastien Guèze propose également un impôt mondial des artistes permettant de gommer les différences de coûts de cotisation entre artistes fiscalisés en France et à l’étranger. On peut être réservé sur la solution projetée (pourquoi pas dans ce cas un impôt unique pour les plombiers ?), mais l’auteur a bien identifié un problème dont on parle finalement peu dans le milieu lyrique : ce n’est ni pour des considérations artistiques, ni par amour du genre humain que l’on préfère des artistes étrangers à des chanteurs locaux pour des petits rôles, mais par souci d’économie.
Par ailleurs, il est de fait que les institutions lyriques françaises n’ont jamais trop regardé à la dépense et qu’elles préfèrent souvent leur indépendance à la mise en commun des ressources, quitte à engendrer un certain gâchis. Des économies sont probablement possibles au travers d’une politique d’achats commune des institutions lyriques, dans la réutilisation des décors existants, leur mise en commun avec d’autres maisons ou des dispositifs scéniques plus légers facilement recyclables pour un autre ouvrage (des festivals un peu désargentés, comme celui de Bergame consacré à Donizetti, sont passés maître dans l’art de faire d’excellentes productions avec très peu de moyens). A l’inverse, ce n’est pas non plus avec des économies misérabilistes qu’on a créé la Chapelle Sixtine, et à une époque moins douillette que la nôtre.
Déroulant sa pensée, l’auteur va plus loin en proposant une programmation « en collection » : un même module (décors, costumes) sert alors pour plusieurs opéras, ballets ou pièces de théâtre rassemblés au sein d’une même thématique (et, honnêtement, combien de fois avons-nous pu voir des scénographies passe-partout qui auraient très bien pu resservir et qui sont partie à la poubelle). Il suggère également de donner les ouvrages en version concert dans le territoire dans la foulée des représentations scéniques. Le postulat non-dit serait ici une envie d’opéra inassouvie dans les provinces les plus reculées : rien n’est moins sûr…
L’auteur s’écarte rapidement de son sujet pour mettre dans le même sac « crise climatique » et « justice sociale » sans par ailleurs véritablement définir ces termes. Pour les jeunes, il propose la mise en place d’un carnet culturel offert à chaque enfant à sa naissance et cartographiant « les ressources culturelles territoriales » (ce qui suppose qu’elles n’évoluent pas trop d’ici qu’il soit en âge de choisir), des places offertes à toute femme qui accouche (à la Belle époque on pratiquait le demi-tarif pour les militaires et les bonnes d’enfants), des billets « récompenses » pour l’obtention d’un diplôme professionnel, des abonnements sur le modèle des cartes « cinéma », etc. Là encore, l’auteur présuppose que l’accès à l’opéra ne serait qu’un problème de ressources financières quand la question nous semble autrement plus complexe. Sébastien Guèze s’emploie ainsi à lever toutes les barrières (du moins celles qu’il identifie) : opéras virtuels, caméra de plateau accessible à tout instant, actions dans les EPHAD… Mais il ne créée pas de désir.
L’égalité homme-femme est également évoquée. Il est assez déprimant de voir une profession qui n’a pas beaucoup d’excuses au non-respect de la parité, être à ce point rétrograde en matière de féminisation, une démarche dans laquelle le secteur privé pourrait paradoxalement lui donner des leçons. Mais ce combat passe-t-il par un « Anti Ring ‘’Women’’ » dont on suppose qu’il s’opposerait à celui de Wagner ? L’idée de « création de sagas épiques de destins de femmes » ne trahirait-elle pas non plus un biais très masculin ?
Sébastien Guèze expose également un concept d’AGOpéRA, une convention citoyenne et artistique permettant de sortir de la relation sachant-novice classique pour le choix de la programmation. Ladite convention regrouperaient les personnels artistiques et administratifs de l’institution, mais, curieusement, pas les spectateurs (ce qui nous évite au moins « Bonjour André Rieu » !). Pourquoi pas alors faire élire à main levée les chefs de service de chirurgie cardio-vasculaire par des collectifs patients, chirurgiens, agents administratifs, personnels d’entretiens et représentants syndicaux, façon mai 68 ? Sébastien Guèze décrit également l’Artiviste, un artiste-activiste donc, en phase avec les préoccupations évoquées, et qui donnerait de sa personne sur ces projets en ne se contentant plus de chanter, mais en participant aux actions solidaires mises en place autour d’une série de représentations. Là encore, on sera un brin réticent devant ce type d’embrigadement, façon « Artiste du Peuple » ou « Prix Staline », qui privilégie la posture au talent. L’auteur propose également l’insertion des réfugiés climatiques, en particulier par la danse. Pour les plus jeunes générations, Sébastien Guèze propose un « Parlement des enfants » ou encore une « Formation Troupe Erasmus décarbonée ».
Qu’il séduise ou qu’il irrite (ou les deux à la fois), ce petit livre bouillonnant ne laissera pas indifférents les lecteurs curieux.