Lorsqu’elle enregistre, en 1963, ces extraits d’Aida pour Decca, Birgit Nilsson a déjà une brillante carrière derrière elle : née en 1918, le soprano a fait ses débuts à Stockholm en 1947, à Glyndebourne en 51, à Vienne en 53 (ce sera son port d’attache où elle chantera plus de 230 représentations), à Bayreuth en 54 avec Die Walküre, à la Scala en 1958 avec Turandot (pour la première fois un 7 décembre, jour traditionnel d’ouverture de la saison, le rôle principal était interprété par un artiste étranger), au Metropolitan en 59 avec une Isolde qui créée une immense impression… Cet enregistrement capte donc la voix du soprano au zénith de ses moyens. Le timbre est lumineux et superbe, l’intonation parfaite, le vibrato absent, l’aigu triomphant ! Techniquement, Nilsson est proche de la perfection, avec un contrôle parfait du souffle, des pianissimi impeccables (mais pas au point de réaliser l’exploit de l’ut filé demandé par Verdi dans l’air du Nil), un chant contrôlé toujours en phase avec les exigences verdiennes. Citons, à titre d’exemple, les Si bémol piano de « Su noi già il ciel dischiudesi … », ses ultimes répliques finales qui constituent un véritable piège pour les voix dramatiques. Ajoutons à ces louanges une interprétation sensible et intelligente. Louis Quilico (père de Gino Quilico plus connu du public français) a pour lui une voix saine, un chant ample et naturel qui faisait son effet sur scène d’autant que la projection était impressionnante. Le baryton québécois campe un Amonasro à la noirceur souhaité, à l’aigu facile et au grave ample. Dramatiquement, la caractérisation est d’excellente tenue, mais un peu monolithique. Il lui manque le sursaut d’humanité par lequel il appelle Aida au sacrifice à la fin du duo de l’acte III. Chanteuse moins connue, Grace Hoffmann apparait en Herodias dans la Salomé enregistrée par Solti, l’un de ses principaux rôles avec Kundry, Brangaene et Ortrud. La chanteuse avait la réputation d’une « grosse » voix un peu placide. C’est un peu ce qu’on ressent à l’écoute de ces extraits : le chant n’offre ni défaut, ni qualité majeurs, mais l’interprétation est un peu distante. Le ténor Luigi Ottolini ne démérite pas vraiment, mais n’est pas au niveau de sa partenaire. Le vibrato est un peu trop présent au démarrage puis s’atténue avec l’échauffement de la voix. La voix est correctement conduite mais le timbre est un peu passe-partout. La caractérisation est plutôt scolaire. La baguette de l’élégant John Pritchard n’apporte pas de plus-value par rapport à celle d’un bon vieux routier italien : on perd ici en dramatisme et en urgence, sans vraiment gagner en raffinement, d’autant que l’orchestre du Royal Opera House n’est pas de première catégorie. Malgré ses quelques imperfections, on se réjouira néanmoins du retour au catalogue de ces extraits dont les talents de Nilsson justifient l’acquisition, d’autant que le prix du disque est très modeste. On le conseillera en priorité aux détracteurs de la chanteuse suédoise qui ne connaîtraient que ses enregistrements tardifs !
L’enregistrement des Wesendonck Lieder de Wagner date, lui, de 1973. Le matériau vocal de Nilsson a évolué avec un vibrato trop présent, quelques duretés dans le timbre et déjà les premiers défauts d’intonation. Moins percutante dans cette tessiture un peu grave, Nilsson manque de moelleux et de chaleur. Surtout, la soprano ne semble pas plus motivée que ça par cette partition qu’elle chante honorablement, mais de manière assez distante, sans véritable incarnation saillante. La baguette de Colin Davis rend pleinement justice à l’orchestration de Felix Mottl, d’autant que le chef britannique dispose d’une formation d’un tout autre niveau avec le London Symphony Orchestra. On regrette d’autant plus que l’orchestre soit parfois un peu trop discret dans les passages les plus élégiaques, la prise de son favorisant plutôt la voix. A noter : la ballade de Senta et les rares airs de Rienzi et de Die Feen qui complétaient le disque 33 tours original ne sont pas repris dans ce CD.