Le lorrain Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) resta toute sa vie un compositeur indépendant, libre de toute charge, apprécié des connaisseurs, mais, paraît-il, jalousé par ses rivaux à cause de sa fécondité (plus de cent numéros d’opus). Sa proximité avec la sulfureuse duchesse du Maine, ennemie du régent et instigatrice des fameuses Nuits de Sceaux, lui valut cette carrière particulière, plus riche en « petites formes » qu’en opéras.
Hervé Niquet a beaucoup fait pour la redécouverte de ce musicien, lui consacrant une demi-douzaine d’albums chez Naxos dans les années 1990, parmi lesquels l’irrésistible Don Quichotte chez la Duchesse (1996) – qu’il n’hésita pas à réenregistrer, avec d’autres interprètes, pour Château de Versailles en 2020 ! Quant au cycle de cantates Les Saisons, l’ensemble Les Festes vénitiennes l’avait inscrit au catalogue K617 dès 1998 – nous y reviendrons.
Mais s’agit-il véritablement d’un cycle ? Si les quatre partitions parurent toutes en 1724, ce fut séparément, la première seule étant dédicacée à la duchesse du Maine. Leurs factures sont proches mais subtilement variées : trois d’entre elles sont destinées à des voix de dessus, tandis que L’Automne revient à une basse. L’Été n’est accompagné que par le continuo, tandis Le Printemps et L’Automne réclament en outre une « symphonie », c’est-à-dire un instrument mélodique (flûte ou violon) et que L’Hiver en exige trois (une flûte et deux violons, par exemple).
Enfin, si les premières cantates se limitent, peu ou prou, à trois couples récitatif/air, la dernière, plus développée, se termine par une sorte de ballet figuré, évoquant la descente des dieux et des muses, dont sont croqués les différents caractères. Ajoutons que certains récits, très écrits, frôlent l’arioso (citons l’arrivée des bergers, « J’entends des concerts d’allégresse », avec son imitation du bourdon, ou le merveilleux ostinato décrivant les ravages de l’hiver), tandis que les arias flirtent tantôt avec la virtuosité italienne (« Les vents brisent leurs chaînes »), tantôt avec la grâce de l’air de cour français (« En vain la plus fière beauté ») – et l’on comprendra que le fantasque Boismortier exhibe ici le catalogue de ses techniques.
Destinées aux amateurs (très) avertis comme aux professionnels, ces œuvres laissent une certaine marge de manœuvre à leurs interprètes : pour varier les couleurs, on peut ainsi faire chanter les pièces pour dessus soit par un soprano, soit par un ténor (à l’octave). Les Festes vénitiennes confiaient Le Printemps au ténor, tandis qu’ici c’est L’Été qui lui revient. En dépit d’une émission nasalisée et désuète, Enguerrand de Hys y tire parti de ses expériences scéniques, livrant une interprétation animée, intense, dont l’accompagnement accuse la mélancolie – touche délicate de Chloé de Guillebon au clavecin, langueur de la viole de Natalia Timofeeva. L’Automne nous satisfait moins, tant à cause des notes trompettantes que laisse échapper Marc Mauillon qu’à cause du choix trop constant de la flûte : chez K617, l’incarnation d’Arnaud Marzorati, bonhomme et détendue, conférait plus de drôlerie aux airs à boire.
Notons que Les Festes vénitiennes avaient fait choix d’un instrumentarium plus varié, incluant flûte à bec (en plus du traverso), basson et hautbois (en ripieno dans les morceaux les plus grandioses). Si cet attrait supplémentaire fait défaut à L’Hiver de Lili Aymonino, la précision et la fougue de la soprano (on déplore seulement un peu d’air dans les vocalises) comme l’expressivité des violons font de cette page étonnante le clou du disque. Quant au Printemps plus modeste de Sarah Charles, dont il faut accepter le petit vibrato nerveux, il l’emporte sur celui du précédent enregistrement, grâce, une fois encore, à une basse continue des plus délicates.