Qui aurait cru cela possible ? Quelques jours après l’enregistrement de Mariss Jansons paru chez RCO, qui nous avait tant déçu, voici qu’un chef beaucoup moins connu (en tous cas dans le domaine de la musique romantique) vient le coiffer sur le poteau. Et ce n’est pas tout : le label est confidentiel, l’orchestre sort petit à petit d’une longue période d’anonymat, et le chœur ne compte pas vraiment dans les têtes d’affiche du genre. Mais voilà, Hervé Niquet a ce qui manque à Mariss Jansons : une volonté de faire vivre chacune des phrases de ce Requiem, une ardeur à empoigner l’œuvre, et surtout une ligne directrice claire, exprimée dans le très beau texte de présentation ; malgré les apparences, cet opus de Brahms est… son plus bel opéra !
Opéra, cela veut dire action, dramatisme, urgence. L’auditeur est emmené à fond de train : 51 minutes au total, ce qui fait de cette version la plus rapide de l’histoire de l’enregistrement. Vitesse qui ne signifie pas précipitation : aucune fugue n’est escamotée, et la rhétorique, que Niquet place au centre de sa démarche, aide à caractériser au mieux chacun des mouvements. Comme on est loin de l’ennui compassé de la version d’Amsterdam, et quel bain de jouvence. Enfin, un deuxième mouvement qui ressemble à une marche, et non à un corbillard traîné par de vieux chevaux. Le sixième, et son tableau du réveil des morts, donne le grand frisson apocalyptique. Malgré ses tempi rapides, Niquet réussit aussi bien les moments éthérés, auxquels il confère une densité peu commune. Comme quoi, lenteur n’est pas synonyme de profondeur, et vitesse de superficialité. Les grands anciens (Klemperer, Giulini, Abbado) ne sont pas dépassés, mais l’enregistrement pose un jalon essentiel dans la discographie.
Si on se penche sur les aspects qui ont permis une telle réussite, il faut citer en premier lieu la prise de son, réalisée dans les conditions acoustique idéales de la Salle Flagey à Bruxelles. Là où Mariss Jansons nageait dans le brouillard, les ingénieurs de Penguin Records placent l’auditeur au plus près des instruments et des voix, sans perdre de vue la grande arche. Un exemple parmi des dizaines : les harpes, détail essentiel de l’orchestration sont parfaitement audibles dans le 1er mouvement, et même dans les déchaînements du deuxième. Un régal ! Le Brussels Philharmonic, qui vivotait jusqu’il y a une dizaine d’années, est concentré, professionnel et réactif. Il n’offre pas la splendeur de timbres des grandes phalanges internationales, mais le propos est ailleurs.
Tassis Christoyannis, décidemment très présent dans les studios ces derniers temps, confirme tous les espoirs placés en lui : un baryton solide, qui sait doser son vibrato avec habileté et dispose de toute la robustesse requise. Lore Binon a une voix qu’on imaginerait plus en situation dans le répertoire baroque, mais puisque Niquet a décidé de faire de son solo une déploration délicate, et non un grand numéro de virtuosité, cela fonctionne parfaitement. Le chœur de la radio flamande, en effectif très léger, passe des effets de puissance à un chant murmuré avec une facilité qui laisse pantois. Les spécialistes pourront ergoter sur certains départs précipités, ou un léger manque d’homogénéité, mais ce ne sont que peccadilles lorsqu’un ensemble est engagé à ce point, et parvient à réaliser toutes les intentions du chef. On imagine le travail qu’il y a derrière cette redécouverte. On tire son chapeau, et on place ce nouveau CD en excellente place dans la discothèque de tous les amateurs de Brahms.
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