« Bravo ! » s’exclame le public dès les dernières mesures de l’ouverture de ce Guillaume Tell, proposé en version de concert à Rome à la fin de l’année 2010. Et comment ne pas partager son enthousiasme en écoutant Antonio Pappano diriger cet opéra, révolutionnaire par la place qu’il réserve pour l’époque de sa création à l’orchestre et aux chœurs. Fresquiste comme d’autres sont miniaturistes, le chef d’orchestre, dessine sur la longue paroi sonore (près de quatre heures de musique, Guillaume Tell est présenté ici dans sa quasi-intégralité, ballets compris) les paysages si bien dépeints par Rossini. L’orage tonne sans assourdir, les chevaux galopent à vitesse folle mais d’un pas léger et quand Arnold apprend la mort de son père, ce n’est pas le ténor mais l’orchestre tout entier qui réprime ses sanglots. Un exemple parmi d’autres. Ainsi les scènes s’enchainent, sans répit, sans même que l’on note la succession des numéros ; récit ininterrompu et passionnant que l’on suit en retenant son souffle. Des musiciens éloquents – le violoncelle présent dans l’ouverture puis rappelé dans le seul air de Guillaume Tell « sois immobile » semble doué de parole –, des chœurs idiomatiques unis comme un seul homme, et des chanteurs au premier abord irréprochables.
L’affiche réunie ici ne présente en effet aucun défaut majeur : équilibrée, d’une honnêteté à toute épreuve, bien chantante et dans l’ensemble bien disante, prouesse notable quand on remarque que la distribution ne comprend qu’une seul francophone (Marie-Nicole Lemieux). Oui mais…
Dans le rôle himalayen d’Arnold, John Osborn n’évite aucun aigu, quitte à les écourter ou à les hisser en deux temps, comme l’haltérophile monte sa barre à hauteur de poitrine avant de la lever au dessus de la tête. Le timbre est beau, la voix égale sauf qu’occupé à négocier les innombrables difficultés de la partition, le ténor en oublie l’esprit. La fougue vengeresse, l’ardeur amoureuse, le désespoir filial, ce n’est pas chez cet Arnold propre comme un sou neuf qu’on les trouvera.
Mathilde, sans être une promenade de santé pour soprano aux trente-cinq heures, est un rôle qui exige moins. Mais ce qu’on ne demande pas au chant, on l’attend de la voix. Malin Byström n’est en rien indigne, appliquée, avec une conduite du souffle qui nous vaut un « sombre forêt » honorable même si peu inquiet. Rien à faire, on a dans l’oreille des étoffes autrement somptueuses. La descendante des Habsbourg est ici moins princesse que dame d’honneur.
Gérald Finley offre à Guillaume le charme irrésistible des tempes grisonnantes, l’équivalent de ce qu’au cinéma peut représenter un George Clooney. Plastique encore avantageuse, grain poli, noblesse de ton, probité du style, dignité : le héros est d’abord un sage.
On attendait mieux du pêcheur de Celso Albelo, disqualifié par un français approximatif, et dont l’aigu ne parait pas si évident pour un titulaire reconnu d’Arturo dans I Puritani. En Hedwige, Marie-Nicole Lemieux confirme, trop brièvement hélas – le rôle est réduit à la portion congrue –, ses affinités avec l’opéra français. Avec sa diction brouillonne, ses accents outrés et sa voix perçante, le Jemmy d’Elena Xanthoudakis est tellement insupportable que si on était son père, on le priverait de dessert.
Réserves mineures pour un opéra majeur qui compte tenu de ses exigences vocales, chorales et orchestrales, ne dispose pas d’une discographie si abondante. On placera donc cet enregistrement en haut de la pile. Porté par sa direction d’orchestre et sa bonne tenue d’ensemble, il est désormais à Guillaume ce que la version Muti captée à Milan en 1988 (Philips) est à Guglielmo : une référence.
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