Le plus britannique des ténors consacre son dernier enregistrement aux mélodies du plus célèbre des compositeurs britannique. Cela dit, on y trouve aussi des mélodies en italien ou en allemand, et pas que les plus célèbres !
C’est la quatrième fois que Ian Bostridge enregistre Britten, un compositeur qui lui va particulièrement bien. Le premier des enregistrements précédents était consacré au Illuminations (principalement) avec le Berliner Philharmoniker et Simon Rattle, le deuxième aux Canticles, avec parmi d’autres partenaires, l’excellent pianiste Julius Drake, et le troisième à Our Hunting Father, avec Daniel Harding. Tous des enregistrements très réussis.
Cinq cycles sont ici présentés, alternativement en anglais, italien et allemand. Si les Winter Words font partie du répertoire relativement courant des interprètes de mélodies du XXe siècle, on ne peut en dire autant des Fragments d’Hölderlin, à l’expressionnisme exacerbé, quasiment jamais joués, ni de l’Opus 84, aussi rare qu’intéressant, sur des textes de William Soutar qui dénoncent les horreurs de la guerre, et avec lequel Bostridge a tourné dans les grandes salles européennes l’hiver dernier.
C’est dans l’attention portée aux détails, dans le souci constant du texte et du rendu exact des couleurs si particulières de la langue anglaise que résident les principales qualités de Ian Bostridge, et son étonnante modernité. Son sens poétique, étayé par une très solide connaissance de la littérature, s’illustre ici à nouveau et fait des merveilles. Les Winter Words sont tout simplement magistraux, d’une sincérité poignante, sans aucun artifice.
Ainsi, on est un peu décontenancé lorsqu’on passe aux sonnets de Michel-Ange. Le ténor semble moins à l’aise dans la langue de Dante que dans celle de Shakespeare, malgré une belle virtuosité, mais c’est peut-être aussi dû à la qualité moins dense de ce cycle-là dont le style italianisant étonne un peu sous la plume de Britten. En allemand, dans les textes d’Hölderlin, l’adéquation est à nouveau parfaite. L’intensité dramatique, austère à souhaits, est rendue avec maints détails qui obligent quasiment l’auditeur à suivre le chanteur avec le texte sur les genoux pour goûter chaque inflexion. La voix peut parfois paraître un peu crue, sans vibrato aucun, certainement pas sans couleurs, mais elle est en permanence au service du sens, de la mise en relief du texte (magnifique « Die Linien des Leben »), pour le plus grand plaisir de l’auditeur attentif, dont l’intérêt est ainsi sans cesse relancé.
Des lieder de l’Opus 84, Bostridge n’a retenu ici que les quatre anglais, réservant sans doute le volet écossais de l’œuvre pour un enregistrement futur. C’est le point vers lequel culmine la construction dramatique du disque (magistral « The children »).
Les mélodies chinoises op.58, composés en 1957, bénéficient d’un accompagnement à la guitare très percussif, énergique mené par Xuefei Yang, curieux contrepoint au thème général de l’œuvre, consacré au vieillissement et à l’attente de la mort.
La prise de son très rapprochée permet de goûter le détail de la prononciation particulièrement soignée du ténor, véritable exemple de belle langue anglaise. L’amateur de poésie y trouvera son compte, au bénéfice d’un excellent équilibre texte – musique. L’intensité dramatique s’en trouve renforcée, comme dans « The Choirmaster’s burial », ou dans « Before Life and After » par exemple, atteignant son paroxysme dans l’Opus 84, particulièrement bien construit.
Sur un piano curieusement harmonisé, aux sonorités un peu jazz, Antonio Pappano se montre imaginatif, apportant une note très personnelle à son interprétation et contribuant largement à la qualité de l’enregistrement.