John Malkovich dans le rôle de Casanova dans des Variations où interviennent des chanteurs d’opéra mêlés à des comédiens, voilà un programme bien alléchant. Le mariage improbable entre le célèbre séducteur, Mozart et Da Ponte son concurrent en mémoires et en réputation, était bien exaltant. En revanche, si le projet est intéressant sur le papier, la réalisation n’est pas franchement à la hauteur des ambitions de Michael Sturminger, pourtant initiateur de projets documentés et originaux. On accompagne ainsi Casanova dans l’intervalle qui sépare un suicide raté de sa dernière heure, durant lequel il raconte sa vie à une visiteuse venue lui reprocher de l’avoir oubliée, le tout ponctué d’extraits les plus célèbres des Noces, de Don Giovanni ou de Così fan tutte dont les paroles sont reprises telles quelles ou légèrement adaptées pour correspondre aux situations exposées.
C’est avant tout grâce à John Malkovich, fantastique Casanova vieillissant, que le spectacle réussit à captiver plus de deux heures durant, triomphant d’un vague ennui ponctué de fulgurances, tant dans les extraits musicaux (véritable pot-pourri des principaux tubes mozartiens) que dans des dialogues parfois scintillants mais pas toujours convaincants, pour le moins. Cela dit, la prouesse d’acteur est remarquable, tout en retenue et évidente présence scénique. Depuis sa performance dans les Liaisons dangereuses de Stephen Frears, difficile d’oublier la puissance de séduction de ce Valmont dangereux au possible, détestable et irrésistible tout à la fois. Et John Malkovich vieillissant ne souffre pas de la comparaison des interprétations de Marcello Mastroianni ou encore d’Alain Delon. Las, ce qui se passe dans la tête du chevalier de Seingalt septuagénaire s’apparente davantage à ce que pourrait ressentir un Don Giovanni, froide mécanique obsédée par le chiffre que le tendre Casanova, amoureux véritable de la gent féminine, ô combien éloigné de la machine donjuanesque. Il est bien difficile de s’attacher aux reconstitutions sans âme des principales amours de l’incomparable séducteur et de se laisser séduire ou attendrir : un comble. Par ailleurs, demander à John Malkovich de chanter n’était pas une très bonne idée. Comme l’avait remarqué un critique, la star américaine est plus proche de Tom Waits que de Fritz Wunderlich quand il chante « Viva la liberta ! ». Il est cependant soutenu avantageusement par le très convaincant Florian Boesch, baryton au timbre de velours très sombre, caressant et autoritaire à la fois. La soprano Sophie Klußmann ne démérite pas et offre une belle prestation, très à son aise dans les nombreux rôles successifs qu’elle endosse tout comme dans son jeu de comédienne. Elle tient la dragée haute à la comédienne professionnelle Ingeborga Dapkunaite, émouvante et crédible. Tous sont soutenus par une direction d’orchestre sobre et sensible de Martin Haselböck, très impliqué dans la création du projet, puisqu’il en est le concepteur musical.
Les costumes sont superbes et certaines robes proprement splendides, sublimées par un décor né d’une idée très simple : trois tentes en forme de jupes, surmontées chacune d’un corset, qui servent successivement de chambres, boudoir ou jardin dans une ambiance rococo qui rend hommage et pénètre l’intimité féminine à tous niveaux.
Pour compléter le DVD, un documentaire de 34 minutes propose de suivre la création du spectacle, des premières répétitions au lever de rideau face au public. Tout cela est fort sympathique mais peu éclairant. Entendre Michael Sturminger exposer ses vues sur le personnage de Casanova, sa conception du théâtre et de l’opéra ou son rapport aux comédiens et chanteurs auraient sans doute été plus passionnants. En somme, une vraie déception et un rendez-vous amoureux raté.