Buxtehude travailla 39 ans à Lübeck, et son œuvre se partage également entre la voix, les instruments et l’orgue. Le CD que nous offrent Lionel Meunier et Olivier Fortin en illustre cinq cantates, mêlées de trois sonates en trio. Aucune découverte à proprement parler, sinon Gott hilf mir, la première cantate, même si celles du maître de Lübeck ne connaissent encore qu’une diffusion relativement restreinte. Depuis Ton Koopman (1987) il semble que l’on n’ait jamais mieux illustré ce répertoire, malgré l’approche de René Jacobs : le piétisme sincère, dépourvu de toute affectation y atteint une forme de pureté lumineuse.
Les sonates en trio sont autant de réussites, agencées fort judicieusement pour éviter les ruptures tonales dans une écoute continue, fraîches, claires, avec une parfaite complicité des musiciens dans leur jeu polyphonique. Des moments de bonheur, colorés à souhait, où la virtuosité se fait naturelle.
A la différence de Bach, soumis à l’obligation d’écrire ses cantates pour les offices de chaque cycle liturgique, c’est de son unique volonté que Buxtehude composa les siennes, pour les concerts spirituels donnés le soir (Abendmusiken), quatre fois l’an, à la Marienkirche de Lübeck, dont il était l’organiste. Sa notoriété lui conférait de surcroît une liberté d’invention, qui est la marque de son œuvre vocale et instrumentale. Gott, hilf mir [Dieu, aide-moi], est une ample composition, avec un bel air, dramatique, de basse, une peinture instrumentale juste, un chœur en forme de motet, pour finir par l’énoncé du choral confié aux cordes à l’unisson, les voix en dessinant l’ornementation. Au climat de désespoir du début répondent le « Fürchte dich nicht » [Sois sans crainte], puis les affirmations confiantes et apaisées du croyant. De Befiehl dem Engel daß er komm [Commande à ton ange de venir] on retiendra les entrelacs des cordes qui tissent un splendide écrin aux voix auxquelles elles répliquent. Les deux strophes traduisent la paix intérieure du fidèle. Jesu, meine Freude [Jésus, ma joie], illustré si souvent depuis l’écriture du choral par Johann Franck, appelle naturellement la comparaison avec le motet le plus célèbre de Bach. Le plan offre lui aussi une certaine symétrie, puisqu’après la sonata d’ouverture, deux grands chœurs encadrent les strophes centrales, le premier, homophone, le dernier d’une polyphonie riche de six voix. L’air varié de soprano (Sara Jäggi), une aria de basse (Sebastian Myrus), un trio vocal, et enfin la parenthèse lumineuse du « Gute Nacht » (Caroline Weynants) renouvellent l’expression, avec une variété surprenante de moyens et de procédés d’écriture. Nul doute que cette cantate mérite d’être aussi connue que le motet du Cantor. La ferveur, la joie intérieure, l’enthousiasme caractérisent Herzlich lieb hab ich dich [Je t’aime de tout mon cœur], en quelque sorte durchkomponiert, puisque les trois strophes sont enchaînées, confiées au soprano, au chœur à 5 voix puis au duo soprano-alto, avant l’Amen conclusif. Jesu, meines Lebens Leben [Jésus, vie de ma vie], cantate de la Passion, sort vraiment du lot dans la mesure où à la sinfonia d’ouverture succèdent cinq strophes variées sur une basse de chaconne, le tout s’achevant par un amen concertant et jubilatoire. Signalons l’aria « Jesu, meines Lebens », confié à Caroline Weynants, comme la belle partie « Du hast laßen Wunden schlagen », chantée par le ténor Robert Buckland.
L’interprétation n’appelle que des louanges, inspirée, dynamique, fraîche et naturelle. Olivier Fortin anime son ensemble – Masques – des claviers d’où il assure le continuo. Lionel Meunier, comme à l’accoutumée, dirige Vox luminis tout en chantant une partie de basse. On présume que les sonates en trio sont confiées au premier, et les cantates au second. Peu importe au demeurant, puisque la perfection est au rendez-vous. Les phrasés, les modelés, l’articulation des instruments semblent tout droit hérités de Reinhard Goebel. Le chœur, formé des neuf solistes, se distingue par la pureté de son émission, la fraîcheur des voix, la dynamique et la mise en place, d’une rare perfection. Ses qualités d’expression, où la simplicité, la ferveur le disputent à la gravité et à l’enthousiasme illustrent admirablement ce répertoire exigeant. Lionel Meunier et Vox luminis signent ici une nouvelle réussite, avec l’engagement humble qui sied au maître de Lübeck
Ce CD généreux bénéficie d’une prise de son superlative, qui valorise chaque timbre dans une fusion idéale. Le relief, la profondeur, les équilibres sont justes. La plaquette d’accompagnement, trilingue, complète des textes traduits, bien documentée n’appelle que des éloges.