Un Concert du Nouvel An qui vous fait découvrir des compositeurs quasi inconnus, ça change de l’ordinaire ! Et comme il réunit un soprano américaine et un ténor allemand, chacun chante dans son arbre généalogique et apporte donc son répertoire, qui inclut au total plus d’un demi-siècle de musique. Le livret d’accompagnement ne fournissant aucune information, penchons-nous d’abord sur les compositeurs en question.
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A tout seigneur tout honneur, côté allemand, le programme commence avec le très Belle-Epoque Paul Lincke, père de l’opérette berlinoise, dont on entend la célèbre marche « Berliner Luft » hymne non officiel de Berlin, tiré de Frau Luna (1899), le concert démarrant sur l’ouverture d’une autre opérette, Grigri (1911). Eduard Künneke, compositeur de musique de film, connut son plus grand succès en 1921 avec Der Vetter aus Dingsda. Collaborateur de Benatzky pour L’Auberge du cheval blanc, l’Autrichien Robert Stolz est plus connu à l’étranger, même si l’on n’y entend guère des titres comme Der Favorit (Berlin 1916) ou Zwei Herzen im Dreivierteltakt (Zurich 1933). C’est aussi en 1933 que Hans May composa la musique du film Ein Lied geht um die Welt, avant de devoir quitter son Autriche natale pour fuir la menace nazie ; le Hongrois Paul Abraham, connu pour l’opérette Victoria et son hussard, proposa l’année suivante Blume von Hawaii (Leipzig 1931), avant de devoir à son tour regagner Budapest, puis émigrer outre-Atlantique. En 1938, Leo Leux écrit quelques chansons pour le long métrage Es leuchten die Sterne. Un pont est évidemment jeté entre l’Allemagne et les Etats-Unis par ces compositeurs qui choisirent l’exil afin de pouvoir continuer à créer. Après un bref passage par Paris, Kurt Weill s’installa en 1935 à New York : l’un des jalons de sa seconde carrière fut One Touch of Venus (Broadway 1943). Le trop bien nommé Irving Berlin, qui était né en Russie et s’appelait en réalité Beilin, s’installa à cinq ans dans le Lower East Side avec sa famille qui fuyait les pogroms : en dehors de ses innombrables chansons, Annie Get Your Gun (1946) est sans doute son œuvre la plus connue. Né Fritz Löwe à Berlin, Frederick Loewe est devenu un compositeur américain à part entière, et reste surtout célèbre pour My Fair Lady (Broadway 1956). George Gershwin, de son vrai nom Jacob Gershowitz, était né à Brooklyn de parents russes : Pardon my English (1933), dont on entend ici deux extraits, est l’une des dernières œuvres conçues avant Porgy and Bess ; Lady, Be Good est bien antérieur (1924) et Strike Up the Band fut créé en 1930. Et l’on ne présente plus West Side Story (1957), la plus récente des œuvres incluses dans ce programme
Grande straussienne et adepte du crossover, future Hanna Glawari du Met, Renée Fleming est très à l’aise dans l’univers de l’opérette germanique, qu’elle interprète avec les mêmes moyens vocaux que le répertoire le plus classique, mais avec le piquant et l’esprit qui convient. Seul Gershwin la voit utiliser un micro, pour permettre à sa voix des effets plus jazzy. Klaus Florian Vogt surprend un peu plus dans ce répertoire, loin de l’héroïsme des rôles wagnériens auxquels il est habitué, et il faut un certain temps pour se faire à la voix blanche de petit garçon qu’il prête à ces mélodies naïves : on n’est pas si loin du timbre nasillard de Max Raabe à la tête de son Palastorchester. Ce côté juvénile et désincarné convient pourtant bien à West Side Story, ainsi qu’au très exotique « Blume von Hawaii ». La réunion des deux voix fonctionne malgré leurs différences (c’est surtout la longueur de leur chevelure que Fleming et Vogt ont en commun), et l’on se laisse emporter par la grande valse de Robert Stolz, « Zwei Herzen im Dreivierteltakt » ou par le comique du duo d’Annie Get Your Gun, interprété mi en anglais, mi en allemand ! Et c’est un régal de voir le d’ordinaire très sérieux Christian Thielemann se déboutonner et fléchir les genoux pour donner plus de swing à l’excellente Staatskapelle de Dresde, ainsi qu’au non moins impeccable choeur du Semperoper. Voilà donc un concert du Nouvel An hautement recommandable (et également disponible en CD). Dommage seulement qu’aucun sous-titrage ne soit proposé pour mieux suivre les paroles de tout ce qui est ici chanté.