C’est à l’occasion de recherches à la Bibliothèque nationale d’Autriche qu’Alexandre Baldo a découvert, au sein d’un ensemble de manuscrits d’Antonio Caldara, plusieurs arias destinées au chanteur Christoph Praun (1696-1772). Cette basse née en Allemagne a travaillé plusieurs années à Vienne avec Caldara, lorsque ce dernier était vice-maître puis maître de chapelle à la Cour impériale (1716-1736). Comme le précise le site Quell’usignolo, le talent de Christoph Praun se manifestait à la fois par une étendue vocale de plus de deux octaves, mais également par une excellence technique dans tous les styles, de la pure virtuosité à l’expression des passions les plus douloureuses. Malgré ces moyens vocaux stupéfiants, Christophe Praun était confiné, comme la plupart des voix graves de l’époque, aux rôles secondaires. Les héros, de Xerxès à Scipion en passant par Hadrien, étaient en effet réservés aux castrats. Pour autant, Caldara a destiné à Praun de superbes arias, à l’instar des bouleversants « Vedea modesto volto » (Mitridate) et « Quando il tenero tuo labbro » (Gesù presentato nel tempio), qui témoignent de la plus belle inspiration.
Il peut paraître un rien audacieux pour un jeune chanteur de se lancer dans un programme si exigeant techniquement pour enregistrer son premier récital. Mais c’est finalement cette fougue qui fait le mérite de l’album, comme en témoigne l’ébouriffant « Sù cedete al dio dell’arm » (La Contesa de’ numi) qui en fait l’ouverture. Très à l’aise dans la tessiture hybride des arias (voir les sauts de registre dans « Più di belva » ou les graves tenus dans « Minaccerà le sponde »), Alexandre Baldo l’est tout autant dans les coloratures, toujours très précises. Par sa conscience aiguë du texte (les « Furie » scandés de l’aria extrait de Nitrocri), son legato et de belles nuances (« Aspri rimorsi atroci » extrait d’Il Temistocle), Alexandre Baldo convainc.
L’Ensemble Mozaïque et ses cinq talentueux jeunes instrumentistes regorgent d’ardeur, de virtuosité et de délicatesse, avec un très joli continuo (luth tout en finesse d’Elias Conrad). L’Ouverture de l’opéra Ifigenia in Aulide est ainsi passionnante de bout en bout. Toutefois, avec un seul instrument par partie, l’accompagnement manque parfois de puissance. L’aria «Tronchi, sì, la falce irata » (Cajo Marzio Coroliano) serait ainsi sans doute davantage percutante avec quelques violons supplémentaires. De même, dans la Sinfonia de la Santa Ferma, l’effectif de chambre ici réuni empêche de restituer les contrastes entre les tutti et le violon solo.
Malgré ces quelques réserves, cet album nous donne à découvrir de passionnantes pages d’un compositeur davantage connu pour ses oratorios (la Maddalena ai Piedi di Cristo en tête), ou ses œuvres pour voix aiguë (voir les récents albums enregistrés par Valer Sabadus, Robin Johannsen ou Philippe Jaroussky). Alexandre Baldo fera sans doute merveille à l’avenir dans les grands rôles de basse du répertoire baroque, et notamment ceux écrits par Haendel pour Antonio Montagnana ou Giuseppe Maria Boschi. En attendant, un concert de présentation du disque est prévu le 22 juin prochain à la Salle Cortot. On retrouvera également le chanteur à la rentrée dans l’Orfeo de Antonio Sartorio, sous la direction de Philippe Jaroussky à Paris (Théâtre de l’Athénée).