De tous les instruments, le violoncelle est, paraît-il, celui qui se rapproche le plus de la voix humaine. Voix de mezzo-soprano, sans l’ombre d’un doute, chaleureuse, ronde et profonde. Les solos de cet instrument dont Villiers de l’Isle-Adam disait l’âme « emportée dans le cri d’une corde qui se brise » comptent parmi les plus beaux du répertoire symphonique. Et comment à l’opéra, ne pas évoquer certaines ouvertures – Guillaume Tell, Le Roi d’Ys… –, et quelques pages célèbres dont le monologue de Philippe II au 4e acte de Don Carlos, l’exemple peut-être le plus flagrant d’une éloquence qui à la beauté du son ajoute, en concert, la grâce du geste.
Il n’est pas étonnant qu’Ophélie Gaillard ait souhaité sertir ce joyau lyrique dans son nouvel album, seule dérogation avec la Fantaisie sur Guillaume Tell au principe d’un programme où le violoncelle se substitue à la voix. C’est Nahuel Di Pierro qui prête sa tessiture de basse au roi solitaire, ruminant son amertume dans les sombres corridors de l’Escurial. « Une de mes premières expériences de lecture à vue devant mes camarades », raconte Ophélie Gaillard à propos de cette partition. « Attention, chef d’œuvre » l’avait prévenue son directeur d’école avant de conclure, à l’issue de l’audition : « C’est bien, mais tu n’as pas encore assez vécu pour comprendre ce qu’il éprouve ». Cette même conclusion en forme d’encouragement pourrait être formulée à Nahuel Di Pierro, désavantagé peut-être par le choix de la version française de l’air et par une prise de son excessivement réverbérée.
L’idée de cette hybridation entre violoncelle et opéra, résumée par le titre de l’album – Cellopera – provient d’une répétition de Don Giovanni à Aix-en-Provence où Don Ottavio absent fut remplacé dans « Dalla sua pace » par le violoncelle solo du Mahler Chamber Orchestra. Ophélie Gaillard – présente, au contraire du ténor – s’enflamme : « Un moment de grâce, comme une nouvelle fenêtre qui s’ouvrait à moi et me tentait secrètement depuis longtemps… Il ne me restait plus qu’à m’y engouffrer, à m’approprier ces chefs d’œuvres avec gourmandise. Tenter de sculpter chaque mot au gré des inflexions de l’archet, épouser chaque mouvement de l’âme pour dire l’indicible. »
Y est-elle parvenue ? Son art a-t-il réussi à ne pas reproduire le visible mais à rendre visible, selon la formule de Paul Klee reproduite au verso de la pochette ? Il faudrait pour répondre en toute objectivité ne pas avoir écouté au-delà du raisonnable ces tubes de l’opéra interprétés par les plus grands chanteurs. Disons que l’intention y est, le cœur aussi, que certains effets divertissent, tels ces variations inédites dans « Deh, vieni alla finestra » ou ce deuxième couplet de l’air de la Périchole joué dans l’aigu afin de traduire l’état d’ébriété de la jeune femme. A cette charmante usurpation d’un répertoire, la direction de Frédéric Chaslin, chef d’orchestre mais aussi compositeur de plusieurs opéras, apporte la légitimité nécessaire.