Décor de bois blanc, costumes d’estivants 1900, châles, chignons et bottines… Il Flaminio de Pergolèse a des airs tchékhoviens dans ce spectacle donné il y a quelques années à Jesi, aujourd’hui publié en DVD par Arthaus. Au dernier acte, on aperçoit un samovar, et l’une des protagonistes caresse même une mouette empaillée, comme pour rappeler le titre d’une des pièces les plus connues de l’auteur des Trois sœurs. Hélas, ce projet séduisant reste à l’état d’esquisse et se borne à quelques bonnes intentions. Les personnages passent un peu trop de temps assis sur leur chaise, ce qui n’est pas forcément le meilleur moyen d’exprimer leurs émotions. Cela dit, par rapport aux absurdités qu’a parfois cru bon de nous montrer le festival de Jesi, cette production fait figure de modèle. Pour cette intrigue qui évoque évidemment plus Marivaux que Tchékhov, Michal Znaniecki a su utiliser toutes les ressources du Teatro Valeria Moriconi, en multipliant les lieux où se déroule l’action, en laissant en scène des personnages qui ne sont pas censés y être, mais qui peuvent ainsi voir les autres ou être vus, ce qui donne un sens plus immédiat aux différents épisodes de dépit amoureux. Le dernier acte, plus stylisé, joue habilement sur la nostalgie et le désespoir de certains personnages, avec un final presque aussi amer que celui de certaines versions de Così fan tutte, l’un des couples artificiellement réunis par le lieto fine apparaissant au bord du désespoir.
Heureusement, l’excellence de la distribution permet de se laisser emporter par ce spectacle, comme ce fut apparemment le cas de notre collègue Maurice Salles lorsqu’il y assista en direct (voir recension). Ottavio Dantone n’est pas pour rien dans cet enthousiasme, et l’énergie avec laquelle il dirige son Accademia Bizantina (vigouruses attaques des cordes dans l’obsédant « Lo caso mio » de Ferdinando) nous convainc parfaitement de la validité scénique des œuvres de Pergolèse. De tous les spectacles de Jesi diffusés en DVD, c’est jusqu’ici le plus réussi, dans une veine douce-amère qui situe ce Flaminio à mi-chemin entre la farce des intermèdes franchement bouffons comme Livietta e Tracollo ou La Serva padrona (le couple de domestiques entourant Polidoro sert à apporter la composante comique) et le sérieux des tragédies historiques comme Adriano in Siria. Vocalement, il n’y a pratiquement rien à redire à la distribution assemblée pour cette reprise en 2010 d’une production créée en 2004, dont Laura Cherici est la seule survivante. Accorte soubrette, elle est ici une efficace meneuse de jeu, avec un seul air en solo, mais plusieurs interventions au sein d’ensemble. Son comparse Vastiano est un peu plus gâté, et Vito Priante interprète avec brio et désinvolture ce valet insolent qui s’exprime exclusivement en dialecte napolitain, d’une voix de basse qui doit faire merveille en Figaro, l’un de ses emplois actuels. Son maître Polidoro est incarné par le ténor argentin Juan Francisco Gatell (qui sera Ernesto dans Don Pasquale à Toulouse à partir du 19 avril), à la voix parfois un peu nasale ; dommage que la mise en scène réduise son personnage à un benêt qui bascule dans la quasi-démence au troisième acte. Dans le rôle de sa sœur Agata, Sonia Yoncheva séduit par un timbre charnu et agile. Entendue en Cenerentola à Garnier l’hiver dernier et future Zerline au TCE en avril 2014, Serena Malfi hérite du rôle de Ferdinando, amant longtemps éconduit qui s’épanche en deux airs plaintifs et s’exprime lui aussi en dialecte ; on aimerait savoir pourquoi Dantone a choisi une mezzo pour cet air jadis confié à un ténor, mais sans doute avait-il de bonnes raisons. L’œuvre est néanmoins dominée par les deux protagonistes principaux, très adéquatement distribués. Abandonnant les travestis auxquels elle était jusqu’ici habituée chez Pergolèse, Marina De Liso est une très altière mais très touchante Giustina, et fait valoir toute la beauté de son timbre grave dans un bel air de fureur au deuxième, suivi d’un magnifique duo, « Se spiego i sensi miei », dans lequel l’excellente Laura Polverelli lui donne une réplique idéale. En Flaminio-Platonov, celle-ci tire le maximum des airs nombreux et superbes que le compositeur a réservés au personnage.