Légende de son vivant, pilier de l’Opéra de Marseille qui ne sut jamais séduire durablement la direction des théâtres de la capitale, César Vezzani reste l’outsider magnifique, la riposte du sud au Parisien Georges Thill. Par rapport à celui avec lequel il ne fut jamais autorisé à entrer en rivalité directe, le Corse avait le désavantage de ne pas être bon acteur – impossible de l’imaginer dans un opéra filmé comme la Louise d’Abel Gance – mais il eut cette supériorité enviable de faire carrière jusqu’à un âge insensé. Né en 1888, il aurait sans doute encore chanté longtemps s’il n’avait été frappé à 60 ans par une hémorragie cérébrale. Et pendant la quarantaine d’années durant laquelle il se produisit, sa santé vocale tient apparemment du miracle, à l’heure où aucun ténor ne semble pouvoir résister à un régime infiniment moins athlétique. Jusqu’au bout, Vezzani enchaîna les rôles les plus lourds, à raison d’un par soir, voire deux par jours.
Dans sa jeunesse, pourtant, alors qu’il travaillait dans le port de Toulon, César Vezzani se croyait basse noble, basse chantante. Une fois son don repéré, il découvrit au conservatoire qu’il était en réalité « fort ténor ». Engagé à l’Opéra-Comique dès qu’il se fut acquitté de ses obligations militaires, il y fait ses débuts en décembre 1911, dans le rôle-titre de Richard Cœur-de-Lion, et un mois plus tard en Des Grieux. Au bout d’un an, il aborde Turiddu, Cavaradossi et Don José : autrement dit, l’un de ses répertoires d’élection, les rôles dans lesquels il brillerait jusqu’au bout. Il n’est cependant encore que « ténor demi-caractère », mais son tempérament passionné n’aurait pas su se contenter longtemps de personnages trop délicats. Après la Première Guerre mondiale, Vezzani doit bientôt se résigner à une carrière en province et en Belgique, au cours de laquelle il chantera Sigurd, Hérodiade, Samson et Dalila, Paillasse, L’Africaine, La Juive, Gismonda d’Henry Février ou Messaline d’Isidore de Lara, entre autres.
Incarnation d’une époque où l’opéra était encore un genre populaire, César Vezzani savait contenter un public amateur de contre-uts et d’aigus longuement tenus. Au disque, sa relative maladresse scénique n’avait plus d’importance, et les enregistrements ne manquent pas pour rendre justice à une voix d’une puissance à toute épreuve et dont la diction toujours expressive laisse d’autant plus rêveur qu’il parlait à peine le français à son arrivée à Toulon, à 14 ans. Entre 1912 et 1914, il grave une quarantaine de faces pour le label Odéon. Malibran réédite à présent l’important legs discographique que Vezzani enregistré entre décembre 1922 et février 1925. On y trouve ses chevaux de bataille, à commencer par La Reine de Saba de Gounod. Beaucoup d’opéras français, naturellement, mais aussi du Verdi (dont le rare Jérusalem), Cav/Pag, et quelques extraits de ce Lohengrin qu’il ne chanta jamais en scène. Tout cela en français, bien sûr (la seule incursion en langue étrangère est La Mattinata de Leoncavallo). Si vous exigez un pianissimo à la fin de « Céleste Aïda » ou de l’air de la Fleur, passez votre chemin : quand on possède des aigus aussi claironnants, et que le public d’alors ne demande que ça, on ne se prive pas de les donner à pleine voix. Evidemment, une vaillance pareille ne saurait s’embarrasser de trop de fioritures, il ne faut pas attendre trop d’exactitude dans les rares passages un tant soit peu ornés. Mais on donnerait très cher aujourd’hui pour pouvoir encore entendre des artistes d’une telle trempe.
Sur un seul de ces disques, le ténor chante en duo : Marie Charbonnel est l’Azucena de son Manrico, et le label Malibran a complété le deuxième disque du coffret par quelques airs enregistrés par cette impressionnante mezzo-soprano, Dalila admirable et véhémente Margared.