Peu nombreux sont ceux qui se souviennent aujourd’hui de Gabriel Pierné. Compositeur très ignoré en dehors de l’Hexagone, organiste et chef d’orchestre (il fut l’assistant de Colonne), élève de César Franck à qui il succédera aux grandes orgues de Sainte-Clotilde, Pierné laisse pourtant une œuvre variée, très marquée par le goût français. A côté de quelques ambitieuses partitions de musique de chambre (dont une sonate pour piano et violon et un quintette à clavier, sur les modèles de son maître), la postérité n’a retenu de lui que quelques pages pour piano, un peu de musique symphonique, plusieurs opéras-comiques qui connurent leur heure de gloire dans le premier tiers du XXe siècle, et un grand nombre de mélodies, qui par leur légèreté de ton et leur climat charmeur rappellent, sans grande originalité, le jeune Fauré ou Reynaldo Hahn. Le choix des poèmes mis en musique n’est pas toujours heureux, et si on compte quelques plumes inspirées comme Hugo, Musset, Gautier ou Paul Fort, on y côtoie également des noms délicieux mais complètement tombés dans l’oubli : Alphonse Capon, Edouard Guinand, Joséphin Soulary, ou Alphonse Labitte ! Si ces mélodies sont agréables, elles restent cependant assez éloignées des sommets du genre.
C’est dans cet important corpus que les artistes de ce disque ont été puiser, pour nous présenter un florilège un peu fade mais non dénué de charme. La voix de Sabine Revault d’Allonnes convient bien à cette musique, mais sa diction pourrait être plus précise et plus incisive. L’interprétation de Thomas Dollé est un peu plus nuancée et moins réservée ; il faut aussi souligner le plaisir de l’alternance des voix, qui apporte du relief à l’écoute de ce disque. L’accompagnement de piano est malheureusement assez terne, sans grande richesse de couleurs, correct mais sans humour. L’impression générale qui s’en dégage est solidement ancrée dans la convention : le texte ressort assez peu, l’interprétation est peu dramatisée, tout cela reste gentil, poli et tiède, impeccablement dans le goût de l’époque.
On ne peut s’empêcher de penser malgré tout que si la mélodie française compte si peu d’adeptes aujourd’hui, et aussi relativement peu de très bonnes interprétations, c’est précisément à cause de ce coté salonnard, sucré, bourgeois, dont les émotions trop fortes sont bannies et dont la poésie fade, faite de bons sentiments, finit vite par lasser. Et ce côté salonnard, c’est ce qui ressort principalement de l’écoute de cet enregistrement, sans défaut majeur, certes, mais sans grande qualité non plus, si ce n’est celle de faire entendre un répertoire oublié, honorable mission à laquelle le label Timpani est particulièrement attaché.