Eh bien non, ce n’est pas parce qu’il a mis en scène Werther à Lyon que Rolando Villazon renonce à se produire dans autre chose que de la chansonnette mexicaine. Il continue à interpréter Massenet et, pour le retour à Covent Garden de la production de Benoît Jacquot qu’on a vue à Londres, puis à Paris, c’est lui qui succède à Marcelo Alvarez (2004) et Jonas Kaufmann (2010). Après sa pause forcée en 2008-2010, Villazon revient dans un de ces rôles de névrosés où il lui est assez légitimement permis de manifester cette ferveur parfois un peu lassante qui le caractérise, avec des accents toujours fébriles qui peuvent séduire ou agacer. Le ténor semble avoir retrouvé sa voix, mais pas tout son brillant, et on ne peut que déplorer une tendance à émettre certains aigus en force là où plus de légèreté serait nécessaire ; par ailleurs, dès que le rythme accélère, le français devient particulièrement exotique et nasal. Peut-être aurait-il mieux valu un DVD, qui aurait mis en relief ses talents d’acteur au lieu de soumettre sa voix à l’épreuve de la seule écoute, mais Decca l’avait déjà fait à Paris, avec le succès que l’on sait. Deutsche Grammophon s’est donc contenté de publier ce livre, qui ravira tous les fans du Mexicain, et qui a heureusement quelques autres atouts.
Même privée de l’impact supplémentaire que lui confère l’image, Sophie Koch reste une fort belle Charlotte, d’une extrême noblesse d’accents lorsqu’elle défend les valeurs familiales et tient le discours du devoir, mais qui peut aussi se faire mutine lorsqu’elle parle pour la première fois à Werther, et qui trahit toute sa passion dans les deux derniers actes. L’air des Lettres et celui des Larmes sont deux grands moments de son incarnation, ici soutenue par une direction infiniment plus allante que celle de Michel Plasson. Antonio Pappano est l’autre point fort de cet enregistrement : c’est la deuxième fois que ce chef grave l’œuvre, après la version de studio avec Alagna et Gheorghiu parue en 1999 chez EMI (la même équipe a récidivé l’année suivante avec Manon). Il communique à la musique de Massenet une urgence bienvenue, et l’on comparera avec profit les 2 heures 40 de la version Plasson aux 2 heures 10 de celle-ci…
Pour le reste, Alain Vernhes délivre son habituelle leçon de chant, dans un rôle qui est désormais à lui, mais qui est trop court pour en faire un argument de poids en faveur de cette version. Les enfants ont été bien choisis : à part dans leurs « Merci, grande sœur », ils n’ont pas cet accent anglo-saxon à couper au couteau des petits choristes qui gâtent régulièrement les productions d’opéra français à Covent Garden. Eri Nakamura est une étrange Sophie, à la voix épaisse dans le bas de la tessiture, au médium substantiel mais à la diction un peu confuse. Du moins nous épargne-t-elle l’acidité agaçante souvent associée à ce personnage. On a voulu éviter l’oiselle, mais « Du gai soleil » passe inaperçu, sans que l’aigu final ait le rayonnement solaire souhaitable. Albert tout à fait acceptable d’Audun Iversen, de même que les plus épisodiques encore Johann et Schmidt : Stuart Patterson, souvent entendu à Paris, s’exprime dans un français quasi parfait, et Darren Jeffery lui donne assez adéquatement la réplique.
A ceux qui ne supportent ni Kaufmann en DVD ni Gheorghiu en CD, ce Werther pourra apparaître comme une alternative aux versions plus anciennes.