Dans un compte rendu récent, notre collègue Julien Marion déplorait que la Tétralogie dirigée par Christian Thielemann à Vienne n’ait pas eu droit à une captation en DVD, qui aurait été plus à même de rendre justice à l’œuvre et aux interprètes. Hélas, avec le Parsifal dirigé par le même chef à Salzbourg, c’est le vœu inverse qu’il faut formuler : si l’on nous avait épargné le spectacle consternant de la production de Michael Schulz, l’enregistrement du son seul aurait sans doute mérité une meilleure note. Certes, le décor des deux premiers actes parvient à peu près à occuper l’immense scène du Grosses Festspielhaus, d’abord avec toute une forêt de gigantesques tubes en plastique (pour la téléportation des chevaliers ?), puis avec une accumulation de statues empruntées à diverses religions, dont une partie suspendues la tête en bas, mais la pente en plexiglas du dernier acte est bien vilaine. Quant aux costumes, également conçus par Alexander Potzin, ils relèvent du bric-à-brac le plus hétéroclite : veste et pantalon taillés dans un tissu camouflage vert cru pour le héros, uniformes d’hôtesse de l’air dissimulant un ensemble très Courèges qu’on croirait sorti d’Austin Powers pour les filles-fleurs, tenues de protection post-catastrophe nucléaire pour les chevaliers… Mais le pire, c’est qu’il ne se passe à peu près rien tout au long de ces quatre heures, et qu’on s’ennuie ferme : pour la cérémonie du Graal, il faut se contenter d’un vague changement d’éclairage et de quelques projections dans les tubes en plastique. Amfortas est escorté de deux danseuses dénudées et tatoutées, les filles-fleurs se font lutiner par cinq adolescents, et Kundry délaisse vite les cadavres du dernier acte pour filer le parfait amour avec deux Jésus Christ, l’un crucifié, au corps crasseux, l’autre immaculé et visiblement très épris de la pécheresse. Tout cela n’a aucun intérêt et n’a guère plus de signification. « Cherche les oies, oison », serait-on tenté de dire à monsieur Schulz, comme Gurnemanz le conseille à Parsifal à la fin du premier acte…
Décidément, Christian Thielemann n’a pas de chance à Salzbourg, après le ratage scénique de sa Femme sans ombre musicalement extraordinaire à l’été 2011. On y trouvait pourtant déjà deux des meilleurs éléments de ce Parsifal : Wolfgang Koch et Manuela Schuster. Cumulant Amfortas et Klingsor (curieusement doublé par un acteur de petite taille pour ce deuxième rôle), le baryton allemand impressionne par l’ampleur de son timbre, par sa science de la diction, et par son investissement dramatique. Bien plus à l’aise ici qu’en Nourrice straussienne, Manuela Schuster compose une séduisante Kundry, avec un récit du deuxième acte parfaitement maîtrisé. Stephen Milling, vu notamment dans Tannhäuser à Copenhague, est un Gurnemanz inhabituellement jeune, à la voix de basse moins écrasante que bien des titulaires. Les filles fleurs sont aussi agréables à écouter qu’à regarder, et l’invisible Milcho Borovinov est un Titurel très correct. Reste le cas de Johan Botha en Parsifal : c’est surtout pour lui qu’un CD aurait été préférable au DVD, et encore. Certes, la carrure imposante et la maturité physique de ce ténor le rendent peu crédible dans le rôle du jeune innocent, mais cela n’explique pas tout. La voix est belle, mais il y manque un investissement dramatique qui ne passe pas que par les mouvements en scène, ici réduits à l’essentiel. Pourtant, c’est surtout la lecture du chef qu’on retiendra, qui donne l’impression d’entendre l’œuvre pour la première fois, par sa limpidité analytique, son soin des détails et sa transparence. Pour Thielemann, l’enregistrement s’imposait, mais de là à en faire un DVD…