Pentatone classics nous propose avec ce Parsifal la deuxième étape de l’intégrale Wagner inaugurée à l’automne dernier avec un Vaisseau Fantôme qui nous avait fait forte impression (voir notre critique).
On rappelle brièvement le cahier des charges de ce projet ambitieux: confier à Marek Janowski et à ses forces de la Radio de Berlin l’enregistrement sur deux ans des 10 opéras de Wagner joués à Bayreuth, sous la forme d’interprétations de concert enregistrées d’une seule prise live à la Philharmonie de Berlin.
On retrouve avec plaisir la même présentation soignée du coffret, bel objet très agréable à manipuler. On soulignera de nouveau la qualité et la pertinence des textes du livret (présentation assez fouillée de l’œuvre, analyse musicale, biographie des interprètes, et même une bibliographie, le tout en trois langues !). Cette attention portée au contenant est suffisamment rare pour être soulignée et applaudie.
S’agissant du contenu, la continuité frappe d’abord dans la prise de son, magnifique, qui bénéficie de l’acoustique superlative de la Philharmonie de Berlin, mais aussi du savoir faire reconnu des ingénieurs de Pentatone, dont c’est en quelque sorte la marque de fabrique. Dans Parsifal, c’est naturellement tout sauf anodin, et on se réjouira de pouvoir apprécier à leur juste et inestimable valeur les sortilèges orchestraux déployés par Wagner dans cette œuvre. On pense, plus d’une fois, à la citation fameuse de Debussy pour qui l’orchestre de Parsifal est « comme éclairé par derrière ».
Continuité toujours dans la direction du chef. On avait salué l’approche « mozartienne » de son Vaisseau Fantôme, à rebours d’une certaine tradition wagnérienne, toute de pesanteur écrasante, tradition contestable dans l’absolu et, en tout état de cause, singulièrement déplacée s’agissant d’une œuvre qui regarde davantage vers le Freischütz que vers le Crépuscule des Dieux. On retrouve ici cette approche résolument cursive et allégée: avec ses transparences, ses alliages orchestraux subtils, et magnifiés par la prise de son, le Parsifal de Janowski se rapproche clairement de ceux de Boulez et de Krauss, bien plus qu’aux célébrations liturgiques d’un Knappertsbusch ou, plus près de nous, d’un Levine ou d’un Thielemann. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la durée de l’interprétation: avec 3h46, on est proche du record établi à Bayreuth par Hans Zender en 1975 (3h42), bien loin des 4h28 de James Levine en 1982 ou des 4h27 de Hans Knappertsbusch en 1951 (sans remonter jusqu’aux 4h48 d’Arturo Toscanini en 1931 !). Les actes extrêmes (le I et le III) y gagnent une physionomie nouvelle, on a l’impression de les redécouvrir, une fois débarrassés de cette pompe pseudo religieuse qui, il faut bien l’avouer, sonne souvent creux lorsqu’elle n’est pas habitée (combien de chefs croient qu’il suffit de diriger lent pour « faire » dans la spiritualité…). On saluera cette volonté d’allègement, tout en regrettant qu’elle conduise la direction à paraître plus d’une fois étrangement aseptisée. Car cette volonté de gommer la dimension liturgique de l’œuvre (ou plutôt: de ne pas la surjouer) n’a pas pour corollaire d’en faire ressortir la dimension dramatique, comme l’ont si bien réussi, chacun à leur manière, Krauss et Boulez à Bayreuth. Pour tenir ce pari, il faut des chanteurs à même d’incarner et de sublimer tout ce qui fait de Parsifal un drame de chair et de sang. Ces chanteurs, Krauss les a eus, à l’évidence (Mödl, Vinay, Weber, London…). Boulez également (les premières années, surtout: un témoignage live du crû 1966 est là pour en témoigner, qui nous livre Varnay, Konya, Stewart…). Dans le présent enregistrement, c’est là que le bât blesse: la distribution réunie en avril 2011 à Berlin n’a rien d’indigne, mais rien de transcendant non plus. Or, de la transcendance, ici, il en faudrait… Le Parsifal de Christian Elsner fait preuve d’engagement, tient bien la durée (« Nur eine Waffe taugt » le trouve même assez frais), mais son timbre gris, qui n’est pas sans évoquer celui de Siegfried Jerusalem, peine à séduire. Voilà un Reine Tor sincère, sans aucun doute, mais prématurément vieilli. On guette en vain au II la fougue, l’ardeur irrépressible. Michelle de Young connait sa Kundry (elle l’a été à Bayreuth en 2005 et 2006), qu’elle nous sert vocalement opulente. Les aigus du II sont là, même s’ils sont le plus souvent poussés. Mais que l’on ne cherche surtout pas ici l’érotisme vénéneux d’une Waltraud Meier ou l’incandescence sauvage d’une Martha Mödl. Du côté des voix graves, on saluera l’Amfortas impressionnant d’Evgeni Nikitin (qui endosse cet été à Bayreuth le rôle du Hollandais dans la nouvelle production du Vaisseau Fantôme). La voix est somptueuse, l’incarnation aboutie: un personnage existe enfin -le seul, finalement, de ce cast-, qui se débat dans ses souffrances et sait nous les faire partager. A l’inverse, on confessera une légère déception à l’écoute du Gurnemanz de Franz-Josef Selig. Les moyens vocaux ne sont pas en cause: la voix est absolument superbe, le timbre flatteur. Mais le chant est souvent bien complaisant, avec notamment une tendance désagréable à prendre les notes par en dessous et à « grasseyer » plus que de raison. Tout cela confère à ce Gurnemanz une tonalité un peu trop roturière. D’onction, point. Hans Hotter ou Gottlob Frick peuvent dormir tranquilles: ils ne seront pas détrônés de sitôt. Très bon Titurel de Dimitry Ivashchenko, même si l’impact de ses rares interventions est diminué par le parti pris du chef. Le Klingsor d’Eike Wilm Schulte assure, sans se hisser toutefois aux hauteurs de certains de ses prédécesseurs dans le rôle, qu’ils soient lointains (Neidlinger, Uhde) ou plu proches (von Kannen! Mazura!). Une mention spéciale, pour finir, au Rundfunkchor de Berlin, à la prestation superlative. Ses interventions à la fin du I et du III permettent à la magie d’opérer et interdisent de porter sur cet enregistrement un jugement trop sévère. Pour la direction de Janowski, qui jette sur l’œuvre un éclairage inhabituel, pour l’Amfortas de Nikitin, pour le chœur et l’orchestre, cette nouvelle version de Parsifal doit être connue, même si, à l’évidence, elle ne remet pas en cause la hiérarchie d’une discographie riche et qui reste dominée par les grands crûs bayreuthiens des années 50 et 60.