Que Pierre-Alain Beffa, comme il s’en explique dans le livret d’accompagnement, ait été fasciné par les Little Singers of Armenia, c’est très bien. Que deux artistes arméniennes, les sœurs Siranossian, aient fait don de leur cachet pour aider cet ensemble, c’est aussi très bien. Et que le résultat soit un disque publié à présent par le label Gallo, voilà qui serait sans doute aussi très bien, à un (gros) détail près. Les enfants d’âge varié (très majoritairement des filles, à en juger d’après les photos ornant le livret) qui forment cet ensemble vocal chantent tout à fait juste, avec enthousiasme et musicalité. Leur chef, Tigran Hekekyan, les dirige avec une passion communicative, et les différents instrumentistes requis par les morceaux enregistrés – harpiste, organiste, pianiste – assurent fort dignement leurs parties respectives. Tout pourrait donc être pour le mieux.
Mais pourquoi diable avoir choisi de consacrer ce disque à la musique pour chœur d’enfants de Britten ? Certes, il y a là un programme parfaitement cohérent, qui associe au plus connu (A Ceremony of Carols) des pages beaucoup moins fréquentées mais éminemment dignes d’intérêt : certaines de ces œuvres du tout jeune Benjamin, composées entre 1929 et 1935, et remaniées plusieurs décennies plus tard, échappent à l’inspiration religieuse et médiévale pour s’aventurer dans textes explicitement liés la modernité, puisque parmi les douze pièces composant Friday Afternoons figure notamment un poème intitulé « Jazz-Man ».
Or, on sait bien qu’en matière de chœurs d’enfants, les Britanniques n’ont de leçons à recevoir de personne, et qu’il existe déjà des enregistrements magnifiques de ces pages. Sur le terrain de l’articulation de l’anglais, les petits chanteurs arméniens ne sauraient lutter avec leurs homologues d’Albion, qui savent mettre bien davantage d’intentions dans chaque syllabe. Ici, le son est beau, mais le texte n’est pas ressenti avec la finesse des jeunes choristes de Cambridge ou d’Oxford. Enfin, et c’est presque une hérésie, là où Britten prévoyait pour A Ceremony of Carols que les solistes devaient être des enfants, et sans doute plutôt des garçons avant la mue, le présent disque nous fait entendre des voix adultes, de femmes, qui chantent bien, certes, mais dont le style et le vibrato ne partagent rien avec les trebles britanniques. C’est d’autant plus dommage que les Three Carols laissent bien s’exprimer ici comme solistes les voix d’enfants attendues.
Autrement dit, face à une concurrence redoutable, les Little Singers of Armenia ne peuvent s’imposer sur un terrain déjà plusieurs fois parcouru. Ce CD constitue pour eux sans doute une jolie carte de visite, mais ne bouleversera pas la discographie, et le mélomane d’Europe occidentale aurait plus matière à s’émerveiller s’ils lui faisaient découvrir les partitions écrites par les compositeurs arméniens dont d’autres interprètes ont su révéler le génie.