Christian Gerhaher n’est pas de ces barytons qui se sont tôt faits une spécialité de Mozart. S’il a interprété plusieurs de ces rôles sur scène (Don Giovanni, Guglielmo, Papageno), il n’a tenté ni Figaro ni Leporello, pourtant présents ici. C’est que sa vocalité même, de baryton aigu et clair – un Pelléas –, semble ne pas se prêter aux rondeurs et aux graves des rôles bouffes. Si l’on aborde donc ce disque en quête de stricte orthodoxie vocale, on sera un peu déçu. Il faut le prendre comme une lecture par Gerhaher des grandes pages de Mozart, c’est-à-dire comme un exercice artistique, interprétatif, plus que technique.
Dans cet esprit, plusieurs merveilles jalonnent ce programme. Il se pourrait même que le plus intéressant soit précisément ces moments où, privé de la voix adéquate, Gerhaher fait tout passer par le texte, l’inflexion. Ainsi sera-t-on fort intéressé par son Leporello couard et fine mouche – le Catalogue est ciselé avec un art consommé de la pointe sèche. Son Figaro est tout de rouerie et de subtile ironie – sans évidemment rien de la faconde qui fait les très grands Figaro. Lorsque cela barytonne plus que cela ne bassonne, Gerhaher est évidemment chez lui. L’air du champagne manque certes d’arrogance (il a tendance à aboyer), mais la sérénade est liederistique au possible. Le Comte rappelle les grandes heures d’un Wächter (y compris par le timbre). Guglielmo lui sied parce qu’il sied à tous. En revanche, son Papageno est un sommet du genre : les trois airs campent le personnage dans toute sa naïve complexité.
Preuve que l’exploit vocal n’est pas le seul enjeu du disque, le Freiburger Barockorchester nous offre la symphonie Linz en quatre mouvements séparés par les airs, et pas même dans l’ordre : la vivacité, la lisibilité, la personnalité des timbres nous enchantent, comme ils nous séduisent dans tous les airs – à se demander si le vrai protagoniste de ce disque n’est pas Gottfried von der Goltz, qui apporte à l’ensemble une alacrité et une intelligence réjouissantes. Ah cette finesse dans Cosi ! Ce frisson dans l’air du Comte ! Cette vitalité dans Don Giovanni ! Bravo !