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Christoph Willibald Gluck

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Livre
12 septembre 2014
Disciple de Wagner par anticipation

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Bleu Nuit, 176 pages, 20 euros

On connaît bien, grâce à l’amusant ouvrage de Pierre Bayard paru en 2009, la théorie oulipienne du « plagiat par anticipation », en lettres comme dans les beaux-arts : Sophocle a tout pompé chez Freud, Voltaire a imité Conan Doyle et Fra Angelico n’est qu’un émule de Pollock. Mais bien avant l’OuLiPo, la même idée semble avoir touché le monde de la musicologie, puisque dès 1910, Julien Tiersot faisait de Gluck un disciple de Wagner par anticipation.

Telle est en effet l’impression qui se dégage à la lecture de l’ouvrage que republie aujourd’hui Bleu Nuit. A en croire la « Bibliographie sélective » proposée en fin de volume, les éditeurs français ne se bousculent pas pour offrir aux lecteurs des ouvrages récents sur un compositeur dont on fête cette année le tricentenaire de la naissance : Fayard s’est contenté en 1985 de rééditer le volume de Jacques-Gabriel Prodhomme datant de 1948, et puis plus rien. Enfin, pas vraiment, car c’est là que cette Bibliographie se révèle fort sélective : en 2007, Actes Sud a quand même confié à l’excellent Timothée Picard un Gluck dans sa série de biographies coéditée avec Classica. Et l’on pourrait aussi songer aux différents volumes que L’Avant-Scène Opéra lui a consacrés (Orphée, Iphigénie en Tauride, Alceste). Plutôt que de commander un texte nouveau, Bleu Nuit a choisi de reproposer un livre pourtant déjà plusieurs fois réédité par des maisons spécialisées dans la reproduction photomécanique. Cela se justifie sans doute mieux que pour Rameau, dans la mesure où la vague baroqueuse n’a pas autant bouleversé notre connaissance de Gluck, même si la redécouverte du répertoire de la fin du XVIIIe siècle permise par les efforts du Palazzetto Bru Zane commence à nous donner une bien meilleure vision de la création musicale à Paris dans les années 1770 à 1790.

Premier constat, assez prévisible : c’est aux opéras français que Tiersot consacre le plus grand nombre de pages. Il y voit évidemment un aboutissement de la carrière de Gluck, et les versions françaises d’Orphée et d’Alceste sont pour lui les seules « définitives », en vertu d’une conception du progrès en art qu’il nous est difficile de partager aujourd’hui. Comme le disait Christophe Rizoud dans son article, les vingt dernières années ont vu la réhabilitation de l’opera seria, et l’on n’accepte plus de réduire ce genre à la caricature qui en a trop longtemps prévalu : pour Julien Tiersot en 1910, Haendel ne vaut que par ses oratorios, et ses opéras sont à juste titre tombés dans l’oubli. Par chance, Tiersot évoque quand même la carrière italienne de Gluck, et trouve du bien à dire de plusieurs opéras antérieurs à Orfeo ed Euridice, signalant tous les airs dignes d’intérêt dans Telemacco ou Paride ed Elena. Ce qui l’intéresse néanmoins dans ces partitions, c’est ce qui annonce le dernier Gluck, et chez celui-ci, il relève surtout ce qui « préfigure » LE compositeur d’opéra par excellence, c’est-à-dire Wagner. Apparemment, Gluck est le seul digne de figurer aux côtés d’ « un autre maître allemand », celui de Bayreuth. Monteverdi et Palestrina sont invoqués comme les maîtres après qui la musique italienne a connu une terrible décadence. Rameau n’est guère plus qu’un nom, et Mozart est aimable mais il a le grand tort d’avoir recouru au recitativo secco après que cette pratique eut été discréditée par Gluck. Et surtout, retenez bien cette leçon : la virtuosité vocale, c’est mal.

La quatrième de couverture annonce une « réédition critique » de l’ouvrage, mais on ne sait pas toujours si les notes marginales sont de Tiersot ou ont été ajoutées pour la présente édition. Le découpage en chapitres a été modifié et l’on a retranché des pages entières, jugées caduques, notamment celles où l’auteur affirme que « les cinq chefs-d’œuvre français de Gluck sont connus par les lecteur des cette étude […] et il serait malséant, en plein vingtième siècle, d’avoir l’air de les découvrir ! ». Les photos ont été conservées et fleurent bon leurs années 1900, quand « Madame Félia Litvinne » était Alceste et que l’on donnait Orphée dans un décor fortement inspiré de Puvis de Chavannes. Le texte de 1910, réédité en 1919, a été scanné mais une relecture plus attentive aurait permis d’éviter des scories comme « Fabbé » pour « l’abbé » ou « Antigotio » pour « Antigono ». Quant à la discographie, très désordonnée et truffée de bourdes (« Serena Jurinac » !), elle est sélective au point d’oublier Les Pèlerins de la Mecque de Gardiner ou le Paride ed Elena dirigé par Paul McCreesh pour ne retenir qu’une version de 1968, de passer sous silence les récitals comme l’album Gluck de Cecilia Bartoli, et d’exclure tout DVD, ce qui est dommage compte tenu de la qualité de certaines parutions récentes, sans doute préférables à un Orfeo dont le rôle-titre était transposé pour baryton, même si celui-ci s’appelait Dietrich Fischer-Dieskau.

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