Le périlleux exercice de grand rattrapage qui bénéficie en ce moment aux compositrices du passé se fait sentir non seulement dans la programmation des concerts, dans les publications discographiques, mais aussi dans le monde de l’édition, ce qui nous vaut cette excellente et très nécessaire biographie de Clara Schumann – ou devrait-on dire Clara Wieck ? – par Brigitte François-Sappey.
L’auteure est une spécialiste expérimentée du romantisme allemand ; elle a déjà publié chez Fayard des ouvrages consacrés à Robert Schumann, Johannes Brahms, Felix Mendelssohn ou Charles-Valentin Alkan. Elle est aussi une grande amatrice de Lieder. Elle avait déjà consacré un petit volume à Clara Schumann aux éditions Papillon (2001) ; reprenant la plume sur le même sujet, elle amplifie considérablement cette première biographie, se basant notamment sur d’autres publications récentes en anglais ou en allemand parues ces trois dernières années.
Le personnage il est vrai ne manque pas d’intérêt : enfant presque mutique, traumatisée par la séparation de ses parents lorsqu’elle avait cinq ans, la jeune Clara reçoit de la part de son père une éducation à la fois rigoureuse et soignée, exigeante, à la mesure des aptitudes de l’enfant, pianiste prodige.
On connait la passion contrariée de Robert Schumann, de neuf ans son aîné, pour la fille de son professeur, le procès que les jeunes amoureux devront intenter au père récalcitrant pour pouvoir se marier, après cinq longues années de fiançailles et les débuts très féconds d’une union heureuse. On connaît moins les œuvres de Clara, écrites en résonance à celles de son fiancé, explorant les mêmes thèmes, préoccupées des mêmes questions, pas moins audacieuses chez l’une que chez l’autre.
Initiatrice de Chopin en Allemagne, pianiste virtuose très remarquée de ses contemporains, amie des Mendelssohn, beaucoup moins de Liszt, Clara après son mariage passe du statut de femme compositrice à celui de femme de compositeur, dont elle défend ardemment le répertoire. La compositrice dépose alors la plume et ne la reprendra plus, laissant une œuvre peu importante en nombre, mais riche en qualité. C’est Clara, bien souvent, qui par ses concerts prestigieux à travers l’Europe, fait bouillir la marmite, négligeant un peu sa marmaille qu’elle place comme elle peut chez des amis ou dans sa parentèle.
Vient ensuite la rencontre éblouissante avec le jeune Brahms, concomitante aux plus noirs épisodes de la dépression de Robert, la maladie puis le décès de ce dernier. Brigitte François-Sappey passe rapidement sur l’absence totale de Clara auprès de son époux hospitalisé, pour retenir les efforts notoires qu’elle a déployés ensuite pour faire éditer son œuvre complète, en y apportant parfois quelques corrections de son cru, pour la jouer en concert dès qu’elle le pouvait et la diffuser ainsi à travers l’Europe. Jouant Bach, Beethoven, Mendelssohn, Schumann bien sûr et plus tard Brahms, elle mène dans la deuxième moitié de sa vie et avec un immense succès une carrière d’interprète courant le monde, puis de pédagogue lorsque des rhumatismes ralentiront ses activités de concertiste.
Avec la rigueur qu’on lui connait dans tous ses ouvrages, l’auteure présente en parallèle avec la biographie, mises en évidence sous la forme de paragraphes encadrés, des analyses détaillées de toutes les œuvres par ordre chronologique, et fait à la fin de l’ouvrage une synthèse des témoignages de ses contemporains sur le jeu exceptionnel de la pianiste, qui fait ressortir son tempérament de feu, sa virtuosité exceptionnelle, mais aussi une musicalité sensible et très communicative.
Source précieuse car très bien documentée, mais étonnement peu illustrée – alors qu’on dispose pourtant de gravures pour la première partie de la vie de Clara et de nombreuses photographies pour la seconde partie – témoignage sur la condition féminine au XIXe siècle, y compris dans les milieux intellectuellement favorisés, faite d’abnégation, de doute permanent sur ses capacités face à un époux brillant, cette biographie manquait à la cause des femmes compositrices. Ce manque est à présent réparé.