Profane ou sacrée, la production de Monteverdi est avant tout vocale, néanmoins, si les pages instrumentales se trouvent réduites à la portion congrue, elles sont pour la plupart d’une qualité exceptionnelle. C’est d’ailleurs en tant que gambiste que le jeune Crémonais se fit engager à la Cour de Mantoue en 1590, où œuvrait déjà un des meilleurs violonistes de sa génération, Salomone Rossi dit l’Ebreo (ca 1570 – ca 1630). Egalement compositeur, celui-ci participera à la création de L’Orfeo : l’angle d’approche est trouvé, la fougue et l’imagination de l’Ensemble Clematis rejoint par le ténor Zachary Wilder vont faire le reste. Jérôme Lejeune publie, derechef, un de ces projets à la fois originaux et instructifs dont il a le secret et qui rehausse avec éclat les célébrations du 450e anniversaire.
Certes, la toccata de L’Orfeo aurait constitué une splendide entrée en matière pour cette anthologie dédiée avant tout à la musique instrumentale où brille également par son absence la sonata a otto sopra sancta Maria ora pro nobis, unique contribution au genre de Monteverdi, « moderne, virtuose, spatialisée, inventive » (J. Lejeune), mais elle aussi requiert des vents (cornets et trombones) alors que l’Ensemble Clematis se limite en l’occurrence aux cordes et au continuo, un choix économiquement plus viable pour les concerts où ce programme fonctionne remarquablement bien. C’est pourtant l’opulence sonore qui nous frappe dès la canzona in riposta de Lodovico Grossi da Viadana à laquelle les musiciens impriment une robustesse et une vigueur d’accents réjouissantes.
L’un ou l’autre tempo pourrait dérouter le mélomane dans les numéros de L’Orfeo réunis ici en une manière de suite théâtrale (sinfonie et ritornelli entre lesquels sont glissées les deux canzonette et Vi ricorda o boschi ombrosi), mais si elle semble parfois céder à son ardeur naturelle (Ecco pur ch’à voi ritorno), Stéphanie de Failly sait également alentir juste ce qu’il faut pour magnifier les dissonances du Ballo delle Ingrate (ballo) ou déployer l’altière et majestueuse beauté de la ritournelle de Tempro la cetra dont Zachary Wilder exalte la force incantatoire. Actuellement en tournée avec John Eliot Gardiner dans la trilogie des opéras (Monteverdi 450), le chanteur américain avait été choisi par Paul Agnew pour interpréter à ses côtés les nombreux duos du 7e Livre lors de l’intégrale des madrigaux donnée en concert par Les Arts Florissants. Sa participation à ce nouvel enregistrement, après le somptueuse Stravaganza d’amore de Raphaël Pichon, non seulement confirme de précieuses affinités avec la langue monteverdienne, mais révèle aussi ce qu’une voix dense et aux couleurs profondes peut apporter à ce répertoire où n’évoluent souvent que des tenorini graciles et trop uniment suaves.
Sinfonie, gagliarde et sonates extraites du premier recueil imprimé de Rossi (1607), ouvrage très populaire et maintes fois réédité de son vivant, seront pour beaucoup une découverte. En effet, si quelques pièces isolées ont été gravées ici où là, séduisant des musiciens tels que Reinard Goebel, ce très doué précurseur de la sonate en trio n’a pas aujourd’hui la place qu’il mérite, ni au concert ni au disque. Clematis en livre une lecture éblouissante, techniquement très sûre et dont l’efflorescence ornementale n’entrave jamais la fluidité du discours. Auteur de psaumes polyphoniques où s’opère une remarquable synthèse des traditions hébraïque et chrétienne, Salomone Rossi nous a également laissé plusieurs livres de madrigaux à cinq voix, proposant pour quelques uns une version à voix seule avec chitarrone. Tirsi mio, caro Tirsi et Anima del cor mio surprennent par leur vivacité et en même temps leur extrême délicatesse, une versatilité dont Zachary Wilder fait son miel avec un naturel désarmant. Trois avatars (Bialo, Marini, Zanetti) sinon rien : Mantoue oblige, la célèbre et entêtante mélodie de La Mantovana complète l’affiche, le ténor rivalisant d’esprit dans la chanson originelle de Giuseppe del Bialo. Un tube en puissance, allions-nous écrire, avant de nous rappeler que ce thème fut repris à travers toute l’Europe et jusqu’en Ukraine pour ressurgir des siècles plus tard chez Smetana (La Moldau) puis dans l’hymne national d’Israël.