La réédition de cet enregistrement paru en 2003 tombe à pic à l’heure où la musique finlandaise est célèbrée par le Musée d’Orsay (voir brève). Sibelius n’est que la partie émergée de l’iceberg, et il y a beaucoup à découvrir, à commencer par celui dont il avait épousé la sœur Aino. Elève de Busoni et de Massenet, Arnas Järnefelt (1868-1959) dirigea longtemps l’orchestre de l’opéra royal de Stockholm. Bien que travaillant loin d’Helsinki, et malgré la nationalité suédoise qu’il obtint en 1909, le compositeur n’en manifesta pas moins sa fidélité à son pays natal, notamment en faisant le choix, audacieux à l’époque, de mettre en musique des textes rédigés en finnois et non en suédois, langue alors dominante sur le plan culturel. Certains poèmes sont même très vigoureusement nationalistes, comme « Isänmaan kasvot » (« Le visage de la patrie »), avec ses appels répétés à l’émergence d’un chant indigène, sur le mode « Vive la Finlande libre ! », ou « Leivo » (« Le rossignol »), qui mentionne les côtes nationales comme « les plus belles qui soient sous le ciel ». D’autres évoquent le pays natal de façon moins revendicatrice, comme « Kanteleelle », ode au kantele, cet instrument de musique caractéristique qui ressemble à une cithare ou un psaltérion, confectionné avec la mâchoire d’un brochet géant, d’après le Kalevala. Les autres textes sont plus convenus, berceuses – « Kehtolaulu », titre de trois des vingt-deux mélodies ici présentées –, poèmes amoureux comme « Du » (« Toi ») ou désespérés comme « En drömmares sång till livet » (« Chant qu’un rêveur adresse à la vie »), descriptions de paysages riants comme « Solsken » (« Soleil ») ou automnaux comme « I solnedgången » (« Au crépuscule »).
Ce disque rapproche deux chanteurs finlandais de deux générations bien distinctes, puisque le baryton a commencé sa carrière alors que la soprano voyait le jour ! Directeur artistique du festival de Savonlinna de 1991 à 2002, invité par les plus grandes maisons d’opéra du monde entier, Jorma Hynninen avait à l’époque de cet enregistrement l’essentiel de sa carrière derrière lui, mais sa voix a conservé toute sa fermeté. A peine si quelques aigus sonnent un peu plus tendus, ce que l’expressivité de l’interprète compense largement, sans qu’on ait jamais l’impression d’un chanteur d’opéra égaré dans l’univers du lied ; certaines mélodies ont par ailleurs un côté assez opératique. Il y a dix ans, au tout début du XXIe siècle, Camilla Nylund avait déjà pris son envol, remarquée en Leonor de Fidelio ou en Arabella. Elle plie sa grande et souple voix à cette musique le plus souvent intime, mais qui n’exclut ni le dramatisme, ni les accents patriotiques évoqués plus haut.
Chacun des deux chanteurs se voit confier onze mélodies, sans que le disque cherche à faire se rencontrer les interprètes autour d’un hypothétique duo, ni même à alterner les voix. Ilkka Paananen les accompagne avec élégance, dans la partie de piano tantôt volubile et dansante, tantôt sobrement limitée à quelques accords répétés, avec notamment des effets imitant les cloches qui renvoient soit au gai carillon, soit au glas.
Petit détail incongru, le portrait de Järnefelt qui orne la page 4 du livret d’accompagnement porte très étrangement la légende : « Alma Schindler-Mahler »…