Crawford Young s’attaque de nouveau à un répertoire difficile et élitiste avec l’enregistrement de compositions, généralement désignées sous l’appellation de « l’ars subtilior », à l’avant-garde en cette fin du 14e siècle et ce début du 15e. Les musiciens Senleches, Trebor et Solage sont en effet réputés pour la richesse, voire occasionnellement l’hermétisme, de leurs chansons. Le Ferrara Ensemble tire néanmoins son épingle avec brio sur le plan technique même si les choix interprétatifs pourront sembler à certains systématiques : l’ambiance globale du CD est très largement contemplative et ne contient que peu de variété de tempi, ceux-ci étant généralement lents.
La meilleure réussite de cet enregistrement est selon nous la ballade à deux voix et en latin « Angelorum psalat tripudium » (première plage) attribuée dans son unique source à un certain « Suciredor », ce qui est très probablement une inversion du nom « Rodericus ». Seule composition interprétée sans instrument, avec donc la partie de Tenor sans texte vocalisée sur le phonème « i », la mélodie du Superius s’épanouit magnifiquement et campe une atmosphère rêveuse et apaisante. Cette ambiance méditative se retrouve dans la grande majorité des chansons (à trois voix) dont seule la partie du Superius est chantée, que celle-ci soit accompagnée par des vielles à archets (plages 5, 6 et 12) ou par d’autres instruments (plages 3, 7, 8). Seules les compositions interprétées par des instruments apportent une réelle variété, au moins de couleur, à l’enregistrement (plages 2, 4 9 et 11). On soulignera en particulier la présence du dulcimer (plages 4 et 11) joué par l’inimitable Karl-Heinz Schickhaus aujourd’hui disparu. On appréciera également le fait que certaines chansons (plages 7 et 10) proposent, comme à la plage 1, une interprétation avec la partie de Tenor vocalisée (et non jouée par un instrument) tandis que la partie de Contratenor est jouée soit à la harpe (au son si particulier plage 7) soit au luth. Il est en effet rare que les interprètes actuels prennent le parti, selon nous amplement justifié, de faire vocaliser par un chanteur une ligne mélodique dépourvue de texte dans les manuscrits. De plus, Crawford Young ne cède pas à la tentation de faire varier « l’instrumentation » au sein d’une composition en proposant par exemple d’accompagner la première strophe par certains instruments, la seconde par d’autres, et la troisième avec tout l’effectif à disposition (recette ô combien fréquente dans d’autres enregistrements pour ménager une variété de timbre et de dynamique). Ce choix de dépouillement esthétique, bienvenu selon nous, entraine un corollaire négatif : certains auditeurs pourront regretter l’absence de vie et de variété pour ces chansons à la forme cyclique et dont la durée dépasse fréquemment les 6 minutes. Si on ajoute à cela l’absence de réelle variation dans le choix des tempi déjà mentionnée, on comprendra que cet enregistrement, dans son ensemble au caractère très contemplatif, pourra ne pas convaincre les mélomanes épris de richesse dans l’expression des affects.
La prise de son est excellente, la prononciation des chanteurs est généralement bonne et le livret accompagnant le CD propose une présentation relativement détaillée de la ballade « Angelorum psalat tripudium ». On regrettera cependant que les textes des chansons en ancien français, traduits en anglais, allemand et italien, ne possèdent pas quelques notes explicatives en français moderne pour certains termes.
Lars Nova