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Contra-Tenor, Michael SPYRES

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CDSWAG
21 avril 2023
Un jalon du chant baroque

Note ForumOpera.com

5

Infos sur l’œuvre

Détails

1 Cessons de redouter (Persée, 1682) – J.-B. Lully

2 Passacaille (Persée, 1682) – J.-B. Lully

3 E il soffrirete… Empio per farti guerra (Tamerlano, 1724) – G.F. Haendel

4 Cada pur sul capo audace (Artabano, re de’ Parti, 1716) – A. Vivaldi

5 Si sgomenti alle sue pene (Catone in Utica, 1728) – L. Vinci

6 Nocchier, che mai non vide (Germanico in Germania, 1732) – N. Porpora

7 Fra l’ombre un lampo solo (Achille in Sciro, 1737) – D. Sarro

8 Vil trofeo d’un alma imbelle (Alessandro nell’Indie, 1755) – B. Galuppi

9 Se il mio paterno amore (Siroe, re di Persia, 1740) – G. Latilla

10 Solcar pensa un mar sicuro (Arminio, 1745) – J.A. Hasse

11 Cessez de ravager la Terre (Naïs, 1749) – J.-P. Rameau

12 Tu m’involasti un regno (Antigono, 1755) – A. Mazzoni

13 J’ai perdu mon Eurydice (Orphée, 1774) – C.W. Gluck

14 Se di lauri (Mitridate, re di Ponto, 1770) – W.A. Mozart

15 En butte aux fureurs de l’orage (Roland, 1776) – N. Piccinni

 

1 CD Erato 2023

Enregistré du 15 au 22 septembre 2020 Villa San Fermo (Lonigo)

En 2011, l’agent de Michael Spyres publiait sur YouTube « Tu m’involasti un regno », air de bravoure d’Antigono où l’on découvrait un ténor casse-cou aux moyens exceptionnels, sans doute le premier à rendre pleinement justice à ce genre de partition. Douze ans plus tard, désormais vedette internationale, l’Américain revient enfin à ce premier belcanto pour lequel il est idéalement taillé.

Et c’est un disque qui fera date. Dans son ambition comme dans sa composition, le programme renvoie à de multiples références. À Spyres lui-même pour commencer, d’Antigono au Mitridate dont il s’est fait la spécialité. Écho aussi au précédent Baritenor : avec Contra-Tenor, le chanteur opte encore malicieusement pour un terme adjacent, comme pour tourner autour de la catégorie « ténor » et railler la rigidité du Fach, ce système de registres vocaux qu’il ne cesse de dynamiter. Il faut voir sa mine réjouie dans divers montages kitsch rappelant les facéties d’une certaine Bartoli. Un modèle assurément, tant l’Italienne a contribué à l’aggiornamento du chant baroque et joué avec les tessitures. Restait à faire pour les ténors ce que Bartoli et d’autres ont réussi pour Bordoni, Farinelli et consorts… Entreprise bien peu tentée, surtout encore en combinant les répertoires français et italien1.

Comme toujours, Spyres entend ne rien s’interdire, et montrer qu’il peut exceller partout. En se confrontant à diverses références, ici au mythique album français de Rockwell Blake (« En butte aux fureurs de l’orage »), là aux intégrales récentes de Vinci ou Porpora chez Decca. S’il se « contente » de tenir tête à Blake, dont la virtuosité jubilatoire est d’une netteté inégalable, Spyres surpasse nettement sa concurrence. Jetons un voile pudique sur les infortunés chargés de ressusciter l’Achille in Sciro de Sarro à Martina Franca et Naples ; saluons l’autorité de Spyres dans « Si sgomenti », dont la tessiture grave gênait Juan Sancho, ou chez Vivaldi dans un air où la voix de Topi Lehtipuu se tassait ; oublions enfin tous ces ténors « baroques » essoufflés par les graves et les écarts épuisants de Bajazet. Autre clin d’œil du programme, l’extrait d’Arminio de Hasse répond crânement à Rodolfo Celletti qui, dans sa célèbre Histoire du bel canto (1983), y voyait « un des airs exigeant le plus de virtuosité qui aient été écrits pour cette voix [le ténor] ».

C’est peu dire que Spyres se montre à la hauteur de ses ambitions. Conformément au principe du belcanto, la voix est homogène et bien assise dans le médium, enjambe les intervalles sans effort apparent et dispense à l’envi trilles et vocalises. Il se permet incartades et nuances des tréfonds du grave au suraigu. Manière de remettre les pendules à l’heure : le primo tenore d’opera seria n’est ni un évangéliste façon Bach, ni un ténor di grazia censément « mozartien ». Le programme parcourt chronologiquement l’évolution des styles et des vocalités entre France et Italie. Résolument sombre dans les airs de Vivaldi (transposition d’un air pour castrat), Haendel et Vinci, évocations des baryténors Borosini et Pinacci, Spyres se montre plus prodigue d’aigus à partir du galant « Nocchier che mai non vide » de Porpora. À compter des années 1730, le primo tenore se hisse au rang de premier antagoniste dans des emplois stéréotypés de pères et hommes de pouvoir inquiets aux passions chaotiques. Véhicules idéaux pour une nouvelle génération de ténors capables de rivaliser avec les castrats et divas dans l’extravagance d’ambitus étirés et la complexité des vocalises : Spyres convoque les mânes de monstres vocaux comme Amorevoli (Sarro et Hasse, image ci-dessus), Babbi (Mazzoni et Latilla) et Ettore (Mozart).

Même si rien dans le programme n’est routinier, seules trois pages sont de vraies premières mondiales. « Solcar pensa un mar sicuro » de Hasse (Arminio, 1745) tisse une parabole maritime sur d’ondoyantes dentelles de trilles, tandis que Galuppi (Alessandro nell’Indie, 1755) distille son charme mélodique habituel dans un air sensible où l’aigu doit être sollicité sans brusquerie jusqu’au contre-ut. Mais le clou du spectacle, c’est l’allegro du Siroe de Gaetano Latilla (1740). Multiples plongeons du la3 au ré2, descentes dans le registre de basse jusqu’au sol1, entêtantes vocalises et roulades déferlantes, tout est exécuté avec une autorité qui laisse bouche bée. En revanche, si l’on comprend que Spyres ait souhaité laisser une gravure « propre » de l’air spectaculaire de Mazzoni qui a contribué à le faire connaître – roulade sur trois octaves incluse –, le doublon était moins nécessaire pour « Se di lauri », que l’on préfère dans l’intégrale Minkowski gravée seulement deux mois plus tard.

L’Américain était moins attendu dans la tragédie lyrique. Le hiatus stylistique est manifeste, mais les récitals romantiques associent souvent Donizetti et Gounod, Massenet et Verdi sans que personne n’y trouve à redire : l’idée de confronter les genres au siècle précédent se défend. Dans le français clair et éloquent qu’on lui connaît, Spyres relève le défi de tessitures nettement plus élevées, avec des allègements bienvenus dans les trois ariettes de réjouissance choisies qui, de Lully à Piccinni, trahissent un goût croissant pour la vocalise. En virtuosité pure, l’Américain surclasse Reinoud van Mechelen, qui conserve néanmoins notre faveur dans ce répertoire et rend lui aussi de très beaux hommages à ses devanciers (Dusmeny, Jéliote et bientôt Legros). L’unique déploration proposée (« J’ai perdu mon Eurydice » de 1774) est ce qui convainc le moins. Pour autant, cela ne signifie pas que l’album, indéniablement démonstratif, ne vaut que pour ses tours de force. Une fois passée la stupéfaction initiale, on goûte la finesse d’un interprète qui sait ce qu’il chante, varie les couleurs, sculpte le verbe sans confondre déclamation et aboiement, et ne néglige aucune nuance dramatique. Ajoutons à cela des variations excitantes et de bon goût dans les reprises da capo.

Il Pomo d’oro, dirigé par Francesco Corti, étonne tout autant que le soliste par son adéquation aux différents styles, par exemple la passacaille de Persée. Les tempi sont justes, la technique est sans faille, et si l’orchestre laisse la star briller, il contribue également à hausser ces versions au-dessus des concurrentes, en tout cas pour le versant italien. Et à faire de cet album un nouvel étalon dans l’interprétation de l’opera seria.

  1. En 1970, Peter Schreier avait proposé un disque baroque (Italienische Belcanto-Arien), et en 1993 Ernesto Palacio avait gravé Re ed Eroi di Pietro Metastasio sous la baguette de Tamás Pál. S’il faut rendre hommage à leurs efforts précurseurs, le style – surtout à l’orchestre – et la timidité technique en font surtout des documents. D’autres ténors ont depuis conçu des récitals consacrés à Haendel et parfois Vivaldi, voire des programmes franchement originaux ou ambitieux. L’album Gluck fort réussi de Daniel Behle (2014), qui mêle aussi airs pour haute-contre et opera seria, est celui qui se rapproche le plus du projet de Michael Spyres. L’Allemand compte d’ailleurs continuer sur ce terrain cette année à Bayreuth (Kings of bravura).

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Spyres Contra-tenor

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1 Cessons de redouter (Persée, 1682) – J.-B. Lully

2 Passacaille (Persée, 1682) – J.-B. Lully

3 E il soffrirete… Empio per farti guerra (Tamerlano, 1724) – G.F. Haendel

4 Cada pur sul capo audace (Artabano, re de’ Parti, 1716) – A. Vivaldi

5 Si sgomenti alle sue pene (Catone in Utica, 1728) – L. Vinci

6 Nocchier, che mai non vide (Germanico in Germania, 1732) – N. Porpora

7 Fra l’ombre un lampo solo (Achille in Sciro, 1737) – D. Sarro

8 Vil trofeo d’un alma imbelle (Alessandro nell’Indie, 1755) – B. Galuppi

9 Se il mio paterno amore (Siroe, re di Persia, 1740) – G. Latilla

10 Solcar pensa un mar sicuro (Arminio, 1745) – J.A. Hasse

11 Cessez de ravager la Terre (Naïs, 1749) – J.-P. Rameau

12 Tu m’involasti un regno (Antigono, 1755) – A. Mazzoni

13 J’ai perdu mon Eurydice (Orphée, 1774) – C.W. Gluck

14 Se di lauri (Mitridate, re di Ponto, 1770) – W.A. Mozart

15 En butte aux fureurs de l’orage (Roland, 1776) – N. Piccinni

 

1 CD Erato 2023

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