Andrea Chenier est une œuvre qui n’a jamais quitté les scènes mondiales et qui a bénéficié d’enregistrements live particulièrement nombreux. Les témoignages des années 1950/60 sont précieux et permettent, aujourd’hui, de mesurer l’émulation extraordinaire qui régnait entre les meilleurs titulaires du rôle titre. De Mario del Monaco, qui a chanté le rôle pendant vingt ans à partir de 1946, on conserve une demi-douzaine d’enregistrements, dont celui, en studio, pour Decca, sous la baguette de Gavazzeni en 1957 ; Giuseppe di Stefano, dans un genre différent, a également laissé quelques enregistrements sur le vif ; Franco Corelli, mais aussi Richard Tucker ou plus rarement Carlo Bergonzi, faisaient aussi partie du paysage. Ainsi, les comparaisons sont faciles et passionnantes et donnent une image fascinante de ce que les théâtres offraient à cette époque. Ils avaient ces monstres sacrés. Nous, nous avons, José Cura ou Andrea Boccelli… et c’est vrai, heureusement, Marcelo Alvarez. Autres temps…
La firme Myto, qui a sorti, en 2005, une soirée du Met de 1966, avec Franco Corelli et Renata Tebaldi, sous la direction de Lamberto Gardelli, récidive, cette fois, depuis Naples, en 1958.
La soirée du 29 novembre, qui marque l’ouverture de la saison, est électrique. Le public tonitrue, vocifère, manifeste et réclame des bis après chaque air de l’ouvrage qui n’en manque pas. En vain. Les Napolitains, ce soir là, étaient le douzième homme de la distribution et il faut dire que le spectacle le mérite.
Franco Corelli, grand rival de Mario del Monaco, dans ce rôle précisément, y apparaît au sommet de son art. Le timbre reconnaissable entre tous est d’une richesse harmonique inouïe et une fois dépassée la surprise d’une émission bien particulière, on est frappé par une caractérisation qui se démarque nettement des autres. Corelli n’est pas qu’une machine à balancer des aigus. Les nuances, dès « l’Improvviso », l’articulation, le souci du phrasé, alliés à une vaillance héroïque (ah… ces aigus tenus…) digne de celle du grand Mario, donnent le frisson. A bien des égards, son Chénier est extrêmement attachant.
L’autre triomphateur de la soirée est Ettore Bastianini, exact contemporain et partenaire très régulier de Corelli dans tous les répertoires. Lui aussi au top, le baryton possède l’exacte vocalité pour Carlo Gérard, suffisamment sombre, mais également lyrique et facile dans l’aigu. Le témoignage est exceptionnel et il est inutile d’aller chercher mieux ailleurs.
Antonietta Stella, toute sa carrière, a souffert de l’aura de Callas et Tebaldi dans le même rôle qui l’ont largement éclipsée. C’est sans doute un peu injuste, un peu seulement, tant l’artiste, dont la voix est sans doute moins rare que celle des deux collègues, mérite le respect. Dans « la mamma morta », air redoutable et attendu s’il en est, le public napolitain lui réserve plus d’une minute d’ovation méritée.
Le reste de la distribution est routinier et la direction de Franco Capuana accuse certains décalages qui sont parfois le propre des live.
Malheureusement, l’enregistrement laisse surtout à désirer quant à la qualité du son, très irrégulière, alors qu’il est issu d’une captation radio (le CD s’ouvre par la voix des présentateurs italiens qui annoncent la distribution). Au final, les phénomènes d’écho, d’éloignement, de tubage – en pleine « Mamma morta », c’est assez dérangeant –, entachent à plusieurs reprises ce témoignage intéressant.
Jean-Philippe Thiellay