Dans l’histoire de l’opéra en France au XIXe siècle, il y a quelques personnages qui, pour n’avoir pas joué le rôle d’un Rossini, d’un Donizetti ou des principaux artistes lyriques ayant marqué la scène parisienne, sont pourtant incontournables. On les retrouve ici, dans l’adaptation française d’un livret italien ; là, on suit leur chronique des principales créations que les journaux de l’époque ne manquaient pas de publier (la presse musicale du XIXe siècle, c’était quelque chose !) ; après leur mort, ils restent avec nous par leurs écrits sur l’art lyrique, en tout cas lorsque des éditeurs acceptent de les sortir de l’oubli. François-Henri-Joseph Blaze, dit Castil-Blaze, est de ceux-là. Adaptateur de Mozart, Weber, Donizetti et Rossini, qu’il a souvent piratés pour composer des opéras centone en piochant des extraits dans différentes œuvres, il a lui-même composé (notamment un Bernabo, d’après Molière), écrit, édité, commenté, critiqué. Un vrai factotum.
Né à Cavaillon en 1784, il a laissé un corpus historique important. Dès 1820, il écrit une Histoire de l’Opéra en France, avant une Histoire de l’opéra italien de 1548 à 1856, que l’on peut trouver sur Internet dans des reproductions peu onéreuses. En proposant une Histoire de l’opéra comique, texte incomplet tout à fait inédit, écrit sans doute en 1856-57, dans les derniers mois de la vie de Castil-Blaze, la démarche des éditions Symétrie peut être saluée. Travaillant à partir du manuscrit constitué en 20 cahiers, les éditeurs proposent un riche appareil scientifique, et notamment de très nombreuses notes de bas de page avec des références à l’infini, qui transforment cette chronique parisienne en instrument de travail de premier ordre.
Sans doute l’introduction de l’ouvrage est-elle un peu brève, alors que la mise en perspective historique, culturelle, économique même de la vie lyrique à Paris aurait pu justifier des développements plus substantiels. Pour une véritable présentation pédagogique du sujet, le petit Découvertes aux éditions Gallimard consacré à l’Opéra-Comique, genre et institution, est incontournable*.
Le texte lui-même est une mine. Partant des origines des « mystères » représentés sur les places et devant les églises du pays, Castil-Blaze plonge sa plume dans l’histoire de France, en remontant au XVIe siècle et en décrivant ensuite comment l’opéra comique s’est peu à peu bâti. C’est de la richesse du tableau d’ensemble que se dégage la caractérisation de ce genre particulier.
Assez vite en effet, cette histoire se transforme en pure chronique des créations lyriques, accumulant les données précieuses et les autres parfaitement anecdotiques. Pour chaque œuvre, Castil-Blaze donne certains éléments précis, comme la distribution, la date de la création, les réactions du public – il aurait tout vu et tout entendu ? – et des anecdotes plus ou moins apocryphes (ainsi des propos prêtés à Rossini, le soir de la création du Portefaix de Gomis : « je suis de l’avis de Castil-Blaze ; – C’est très bien ; mais qu’en dit ce même Castil-Blaze ; – Je n’en sais rien, ce qui ne m’empêche pas d’être tout à fait de son avis ».). Plus substantiellement, il expose parfois son analyse de l’œuvre, nécessairement subjective, très partielle et jamais systématique. A propos de Richard Cœur de Lion, de Grétry (1784), il regrette que « Ô Richard, Ô mon roi » soit « un air mal bâti ». Sur Cendrillon de Nicolo, l’auteur dresse une comparaison intéressante – et un peu cruelle – avec la version rossinienne qui, quelques années plus tard, conquerra les scènes de l’Europe (« Comparez la Cendrillon en prose rimée et pauvre de musique d’Etienne et Nicolo à la Cenerentola de Ferretti et de Rossini, dotée de tout ce que la poésie et la musique ont d’irréversibles séductions et mesurez, s’il se peut, l’abîme qui sépare l’opera buffa des timides essais, des misères de notre opéra comique »). Aux détours d’une création, Castil expose le rôle des opéras en un acte (« Point de frais de mise en scène, et des recettes énormes que l’affluence du public renouvelait pendant plusieurs années ; la facilité de combiner des spectacles attrayants et fructueux au moyen de ces actes favoris ») illustrant pertinemment l’histoire économique de l’opéra.
La richesse et la précision ont pour contrepartie une quasi impossibilité de lecture intégrale de la première à la dernière ligne. Mais tel n’était pas l’objet. L’éditeur a eu l’idée très pertinente d’accompagner le texte de pas moins de quatre index riches et soignés, par noms de personne, par œuvres, par incipit, par lieux et institutions. En entrant ainsi dans le texte, on y trouve d’innombrables pépites que tous les curieux, les historiens d’aujourd’hui, les directeurs de théâtres mettront à profit. Toutes les équipes de direction de l’opéra comique, notre opéra comique, pour les siècles à venir pourront faire leur miel des idées de re-créations. Avec l’impressionnante liste d’ouvrages parfaitement oubliés que l’on trouve dans le Castil-Blaze, ce sont des milliers de saison qui sont ainsi assurées !
* Voir la récension de l’ouvrage sur le site www.nonfiction.fr