De toute évidence, et malgré le mélange de lettrages qui fait se côtoyer Art Nouveau et Art Déco, la pochette de ce disque revisite le style 1900. Le portrait, dessiné d’après une photo de l’artiste, imite explicitement le trait de l’affichiste Mucha, et la chanteuse devient ainsi la petite sœur de Sarah Bernhardt dans Théodora ou La Dame aux Camélias. En même temps, la posture dans laquelle elle est immortalisée a quelque chose de typiquement « dessayen » : ce poing sur le front appartient au répertoire gestuel de la Dessay. Au traitement infligé au graphisme Art Nouveau répond le sort fait à la musique de Debussy.
Evidemment, Philippe Cassard a concocté un programme aussi adapté que possible aux moyens de la soprano : des mélodies pleines de vocalises et d’acrobaties, possible équivalent sonore de ces entrelacs Art Nouveau, d’un Debussy qui fait ses premiers essais dans ce domaine, avant d’épurer son style de toute cette virtuosité fort peu caractéristique. Dans ces partitions écrites pour une Lakmé ou une Philine, Natalie Dessay déploie tout le brio qu’on lui connaît, et sur ce plan, le contrat est mieux que rempli. Pour le reste, on regrettera que, tout en s’appropriant cette musique, en la pliant dans le moule de sa personnalité, elle n’en profite pas parfois pour mordre à belles dents dans ces poèmes, qu’elle déroule sans toujours les interpréter autant qu’on le souhaiterait. Les syllabes sont effleurées, certes magnifiquement, mais on aimerait parfois que la chanteuse les savoure davantage, d’autant que ces poèmes méritent qu’on leur confère du relief : Verlaine et Mallarmé, bien sûr, mais aussi Charles Cros et Maurice Bouchor ont le droit d’être articulés aussi clairement que les Baudelaire mis en musique par d’autres à la même époque.
Les mélodies composées pour Marie-Blanche Vasnier par le tout jeune Debussy avaient déjà été enregistrées pour la plupart (récemment, Donna Brown ou Dawn Upshaw s’y étaient essayées), mais ce disque révèle quatre inédits dûment signalés : « Le Matelot qui tombe à l’eau », « L’Archet », « Romance » et « Les Elfes ». Il n’est pas sûr que ces titres envahissent désormais les récitals, mais ils ont le mérite de confirmer les influences dont on savait déjà qu’elles s’étaient exercées sur Debussy en début de carrière
Pour La Damoiselle Elue, œuvre postérieure de plusieurs années, il est intéressant de comparer cette version avec celle, toute récente, qui figure sur le disque « Prix de Rome » enregistré par Hervé Niquet (voir recension). La durée des deux enregistrements est la même à une seconde près, mais les moyens réunis chez Glossa sont assez différents, avec notamment une voix de soprano beaucoup plus ample. Même si elle susurre, avec parfois pas mal de souffle dans la voix, Natalie Dessay trouve dans ce morceau davantage matière à incarner que dans les mélodies, et son texte est plus articulé, peut-être parce que plus théâtralisé : la soprano est ici un personnage, la Damoiselle en personne, entourée par le chœur et la narratrice mezzo. Karine Deshayes est une récitante un peu grandiloquente, et le Jeune Chœur de Paris pourrait avoir une diction plus claire, mais le jeu pianistique de Philippe Cassard est comme sur toutes les autres plages du disque celui d’un très grand debussyste, tantôt brumeux, tantôt scintillant, au gré des atmosphères de chaque pièce. Mieux qu’un accompagnateur, il est un acteur à part entière de ces mélodies, comme il l’a prouvé en récital, à Paris ou à Montpellier.