Deuxième opus chez DG pour l’attachante Petibon. Nous avions déjà chroniqué le premier, Amoureuses (voir notre critique) qui nous avait procuré un certain bonheur. Plus déroutant, nous apparaît cet enregistrement, alors que rien ne semblait devoir décevoir compte tenu des moyens et du parcours de la cantatrice. Ravissant soprano léger, dotée d’une vraie personnalité parfois mal canalisée ou inspirée par d’inutiles effets, Petibon peut s’avérer une musicienne racée servant les musiques les plus ardues (remarquable Lulu, elle fit pleurer les pierres dans les Dialogues des Carmélites). Elle est au aujourd’hui au sommet de ses moyens, de sa jeunesse, pourquoi diable alors un curieux ressenti dans ce baroque italien qui nous semblait pouvoir offrir un pendant idéal à son superbe récital baroque français remontant déjà à 2001 pour Virgin ?
Les aficionados seront emballés. Ceux qui se réclament d’un dogme baroque, voueront aux gémonies cet opus hérétique. N’appartenant à aucune de ces ethnies, c’est avec une bravoure rare et aveugle mais non sourde que nous avons dégusté le festin. Le menu est copieux, d’un bel équilibre dans sa diversité : tubes vendeurs où Patricia s’octroie d’innocents plaisirs et pages relativement rares pour le commun de mortels mais où la comparaison inévitable, tourne rarement à l’avantage de la cantatrice.
La soirée s’ouvre avec Giulio Cesare in Egitto de Sartorio. Petibon avec la complicité d’un Andrea Marcon inégal dans son partenariat, entreprend son numéro de funambule, fichant un sourire complice à certains, crispant d’autres en un rictus définitif. Cleopatra nous enchante dans ce qui nous apparaît comme un équilibre de timbre, d’audace et de sensualité. On s’abandonne avec délices à cette adolescente croqueuse d’hommes et ma foi, en ayant vu d’autres, même les tambourins mode peaux-rouges et autre castagnette ne nous semblent pas dénaturer ce Ballo théâtral à souhait.
Dans les ruptures qu’elle affectionne, Petibon propose un convaincant « Queste lagrime e sospiri », la pâte vocale est superbe, le soin porté au mot de bon aloi et les effets de vibrato dans les tenues, idéaux.
Suit un bouquet du Caro Sassone. Morgana en son cultissime « Tornami a vagheggiar » d’abord. Idéale d’emploi, la métamorphose dans la couleur est parfaite, un excès de légèreté fait perdre pied à notre suivante où piqués plus effleurés que tintés, ne trouvent pas leur cible, tandis que le choix expressif de l’aigu pose question. La reprise, au-delà de l’ingénieuse proposition de pizzicati répétés évoquant un superbe oiseau en cage, expose une colorature propre, mais souvent à court de muscles. On parlera davantage de souplesse vocale que de pure soprano colorature. Cela aura toute son importance si notre Patricia cède aux urgentes sirènes de sa Major la pressant d’aborder des emplois plus lyriques. Morgana découvre un suraigu extrêmement léger mais n’ayant plus l’aisance d’antan dans sa rondeur ou son attaque.
Enième « Lascia ch’io pianga » qui hormis un léger manque d’intériorité, touche. Patricia alterne les couleurs, la reprise jouant – et il fallait l’oser ! – sur une dynamique différentielle de la voix mourant sans aucune variation de notes. Seuls quelques effets témoignent combien Petibon doute de l’expressivité naturelle de sa voix. Et Dieu seul sait qu’elle peut chanter magnifiquement. Mais quelle cantatrice ose encore le pari de toucher l’âme uniquement par le pouvoir du chant sans aucun histrionisme ?
Le « Volate, amori » de Ginevra marque la première chute, inexplicable vu l’emploi. Notre Patricia s’emberlificote dans les mailles répétitrices de son ouvrage qui n’évite ni l’ennui, ni une baisse du niveau de chant (attaques aigues passables, des patinages qui n’auront rien d’artistiques dans la colorature montrant ses limites dès qu’elle se montre plus exigeante, effets plébéiens…).
L’autre Cleopatra ne fait pas davantage illusion, un accompagnement ne l’aidant guère, trop affecté et sirupeux, quelques mouvements de chaloupe évitant de peu des intervalles pris par le dessous. Cet air démontre la limite de caractérisation d’emplois dans leur noblesse que par nature et par moyens, notre superbe soubrette ne peut évoquer (ce qui constitue un autre écueil que devra éviter Patricia dans l’approche des romantismes italiens plus ambitieux). On évite de peu le cri dans un suraigu franchement laid. La reprise est un « hommage » à une Fleming de second ordre. Les choix mélodiques et leur stylistique avec ses pleurnicheries dans leur appui laryngé, sont indéfendables.
Le Scarlatti dans Griselda bascule corps et biens. Voulant incarner le Théâtre vivant de la Rome ou de la Venise d’alors, Patricia parvient avec peine à se hisser sur deux tréteaux de foire. Numéro qu’aurait pu signer une Dessay à son meilleur : la colère et l’indignation doivent-elles obligatoirement passer par une hystérie collective ? Maltraitant son instrument, Petibon se transforme en Obratzowa, fou rire au rendez-vous.
Alcina nous amène à une autre chapelle de notre chemin de croix. On s’invente une voix que l’on ne possède pas dans sa largeur (exercice bien dangereux et de mauvais présage pour l’avenir). Moins Prudence Petitpas qu’Adèle petit pied, enfilant la crinoline de Rosalinde, les premières portées sont une caricature une fois encore de Fleming à son pire larmoyant. En voulant grossir, l’émission s’en ressent immédiatement, le vibrato s’élargit, les attaques « glottisent » à foison et un nouveau fou rire accompagne la descente sous portée quand on rend ici hommage à Gruberova dans son « In mia man » anthologique.
Sa Dalinda retrouve une dignité certaine, malgré un trait toujours forcé, un aigu peinant à se stabiliser dans son appui dès qu’il doit être tenu et une colorature qui sature en sa stratosphère. Tout cela sent à plein nez le «comment choquer le bourgeois facilement». On enrage car il suffirait de si peu pour que Patricia revienne à cet équilibre, cette simplicité d’engagement dans un instrument aux fulgurantes beautés par instants. D’autant que le potentiel émotionnel est énorme, à portée de main. On ne peut qu’évoquer un bien beau gâchis à plus d’un moment.
On reprend la route avec le superbe « Morte amara » de Porpora évoquant le « V’adoro, Pupille », au point qu’on pourrait gagner un procès en plagiat. On pardonne le manque de soutien de fin de phrases et le saucissonnage pulmonaire des traits, l’aria fonctionne et offre une véritable bouffée d’air après le Golgotha des dernières stations.
Nouveau naufrage avec le « Siam navi » de Vivaldi ne tenant pas deux secondes la comparaison avec une Bartoli. Mauvais choix où prise au piège d’une tessiture grave qu’elle ne possède pas, elle caricature sourdement. La longueur des traits essouffle une forge modeste. L’aria di tempesta lui échappe dans la masculinité de l’écriture, semblant interminable dans de mauvaises variations lorgnant excessivement vers Olympia.
L’Orfeo de Sartorio mettra les nerfs à rude épreuve, trop, trop, trop ! Surjoué, surarticulé. L’auditeur se détourne ; attention et écoute désirent s’échapper.
Le Marcello offre un léger oasis de tranquillité retrouvée, simple, efficace, Patricia chante et cela suffit expressivement à notre bonheur.
Le sublime « Caldo Sangue » conclusif de Scarlatti ne tourne pas plus à l’avantage de notre belle où une réminiscence de l’épure « jarrouskienne » vient balayer les efforts ostentatoires de notre soprano.
Au final, la déception. Au-delà de vaines et vaniteuses querelles de clochers stylistiques, le manque de plaisir vocal et, davantage, d’émotions, nous apparaissent bien plus tristes compte tenu de moyens aussi conséquents. On se questionne sur l’entourage artistique de Patricia, de sa propre responsabilité dans les choix de ses interprétations. Il nous semble aussi écrit que l’on verra prochainement l’inévitable récital Bel Canto avec un chef historique pour adoubement. Dans la sécurité du studio, entre Adina, Norina, Giulietta et Elvira, on ne devrait pas éviter le fantasme de Lucia. Petibon évoque régulièrement cette rupture de tous les dangers, l’avenir nous dira si le jeu en vaut la chandelle et de quelle manière elle désire décliner artistiquement, le formidable outil médiatique que définit cette position d’artiste signé.
Philippe PONTHIR