Retour dans les bacs, mais en version économique, de la première Madama Butterfly interprétée par Victoria de los Angeles, une intégrale mono supérieure à la version stéréo réalisée en 1960. Gravée au cours de l’été 1954 pour marquer le 30e anniversaire de la disparition de Puccini, cet enregistrement, malgré une prise de son défectueuse, métallique dans l’aigu et confuse dans les forte, demeure l’un des plus beaux. Dirigée d’une main tendre et ferme par un Gavazzeni certes moins à l’aise dans la miniature japonaise que dans les épanchements verdiens, mais dont l’énergie débordante et l’art de la narration font merveille, cette Butterfly force toujours l’admiration.
Dans le rôle-titre, Victoria de los Angeles offre un portrait sobre et attachant de la petite geisha, la diseuse puisant dans les ressources de son instrument pour colorer son expression et opérer une subtile transformation psychologique, entre le bonheur aveuglant du premier acte et le vain espoir du dernier. La voix de la soprano catalane à la fois lumineuse, charnue et étendue (sans se risquer cependant au contre ré de l’air d’entrée) surmonte sans trop de contorsion les difficultés, sa technique lui permettant de se plier à l’écriture « athlétique » de ce personnage, mais l’interprète butte sur les passages clé (« Un bel di vedremo » un peu plat, « Duo des fleurs » extérieur, « Con onor muore » expédié), sans créer la surprise, ou l’électrochoc espéré. Moins précieuse et affectée qu’elle ne le sera six ans plus tard, dirigée par un pâle Gabriele Santini et en compagnie d’un Jussi Björling peu concerné, Los Angeles demeure magnifique, sans pour autant accomplir le miracle Callas qui trouvera un an après elle, avec Karajan (EMI), des accents jusque là inconnus et renouvellera totalement l’approche de cette héroïne.
Aux sommets de ses moyens, Giuseppe di Stefano est un Pinkerton tout simplement idéal, d’un lyrisme absolu et d’un rayonnement vocal sans égal, préférable au timide Nicolaï Gedda choisi pour donner la réplique à Maria Callas, Tito Gobbi, fâché avec le diapason, composant tout de même un solide et émouvant Sharpless, rôle qu’il chanta peu. Anna Maria Canali enfin, est une honorable Suzuki et Renato Ercolani, baryton bien connu, un Goro de choix.
François Lesueur