Depuis qu’il en est le directeur musical – 2015 – Mikko Franck ne manque pas une occasion de confirmer que l’Orchestre philharmonique de Radio France a vocation à jouer le répertoire symphonique français. Dès 2009 il enregistrait un premier album Debussy (Images, Prélude à l’après-midi d’un faune, Printemps). En 2015 suivait un couplage original : à L’enfant et les sortilèges de Ravel – qui réunit toute la fine fleur du chant francophone – le chef finlandais joignait L’Enfant prodigue de Debussy. Ce nouvel enregistrement, produit par Radio France à la suite de récents concerts à l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique, rassemble à nouveau trois œuvres de Debussy, rarement proposées sur un même disque.
La Damoiselle élue, poème lyrique pour deux voix de femme, chœur et orchestre, est « un petit oratorio dans une note mystique un peu païenne », comme l’écrit Debussy à un ami en 1892. Œuvre d’un compositeur de 25 ans, elle témoigne de la fascination de l’auteur pour le mouvement symboliste et le poème du peintre préraphaélite anglais Dante Gabriel Rossetti The blessed Damozel.
Le Martyre de Saint-Sébastien est, à l’origine, un ballet composé en 1910-1911 pour voix solistes, chœur mixte et orchestre sur une commande de la danseuse Ida Rubinstein, sur un texte de Gabriele d’Annunzio : cinq actes, cinq heures lors de la création au Châtelet le 22 mai 1911. L’oeuvre ne survivra pas à la création dans son intégralité : on ne donne aujourd’hui au concert et au disque que les quatre « fragments » symphoniques qui figurent ici. On sort rarement de la nuance « sombre et lent » et d’une musique qui peine à soutenir l’intérêt de l’auditeur, toute révérence gardée pour son auteur.
Il en va tout autrement des trois Nocturnes (1901) créés un an avant Pelléas, qui adoptent déjà la forme du tryptique, d’une sorte de symphonie en trois mouvements, comme le fera Debussy en 1905 avec La Mer. Concession à l’air du temps, l’ajout de voix de femmes pour le troisième volet, Sirènes. Un chœur de femmes qui intervient sans paroles, procédé qu’utiliseront plus tard Ravel (dans Daphnis) et Holst à la fin des Planètes.
Si l’on s’attendait à entendre ici un Debussy brumeux, « impressionniste », aux couleurs évanescentes, on sera déçu. Mikko Franck exalte au contraire les lignes claires, les subtils alliages de sonorités et surtout le mouvement interne des œuvres, les sortant – pour La damoiselle et le Martyre – de leur gangue surannée. La lumière est parfois vive, affaire de prise de son, par exemple dans les Sirènes des Nocturnes, où l’on eût préféré des voix plus discrètes ou mieux fondues dans l’orchestre.
Mais la contribution de Melody Louledjan et Emanuela Pascu, et surtout de l’impeccable Maîtrise de Radio France (dirigée par Sofi Jeannin) sont au-delà de tout éloge. Avec elles, et l’Orchestre philharmonique de Radio France, Mikko Franck nous donne la référence moderne de cette Damoiselle élue plus que centenaire.