Max Reger (1873-1916) n’est pas le plus attractif des compositeurs : son nom est inconnu du grand public, son physique n’a rien qui puisse faire rêver (mieux vaut éviter de reproduire son portrait sur la pochette du disque), et sa mort prématurée, d’une crise cardiaque, ne lui a pas permis de s’imposer au sein de sa génération. Aucune de ses œuvres symphoniques ne s’est durablement inscrite au répertoire des orchestres, et sa musique peut sembler d’une modernité moins flagrante que celle de ses contemporains. Ce n’est pas non plus l’admiration qu’il inspira à Hindemith et Honegger qui contribuera à le rapprocher de nous. Pas d’opéra pour Reger, mais de la musique vocale tout de même, notamment une quantité très respectable de lieder. Le centenaire de sa mort en 2016 n’a pas vraiment permis une réhabilitation, et certains disques faisaient même douter qu’elle soit possible.
Mais voici que le label Solo Musica fait paraître un CD (enregistré en public en 2016, mais dont la publication s’est fait attendre) où la musique de Reger est présente aux deux extrémités du programme, défendue avec tant d’art que l’on se prend d’admiration pour le compositeur et que l’on a soudain envie d’en entendre davantage. Par une petite bizarrerie qui a sûrement une explication, les textes chantés sont présentés dans le désordre dans le livret d’accompagnement, mais peu importe. Le disque s’ouvre sur un Requiem d’un gros quart d’heure, qui ne doit à peu près rien à la liturgie chrétienne. Le texte est l’œuvre du poète et dramaturge Friedrich Hebbel, et il invite l’âme à ne pas oublier les morts qui flottent autour de nous. A l’autre extrémité du parcours, Der Einsiedler, « L’Ermite », d’une durée sensiblement identique, sur un poème d’Eichendorff déjà mis en musique par Schumann, Max Bruch et Hugo Wolf, entre autres. Ces deux œuvres forment pendants, ayant été publiées ensemble, à titre posthume en 1916, et Reger les considérait, avec raison peut-être, comme ce qu’il avait écrit de plus beau.
La version commercialisée par Solo Musica est un arrangement pour ensemble de chambre, ce qui évite aux voix de devoir lutter contre la masse sonore d’un grand orchestre. La Camerata Vocale Freiburg y allie transparence et ferveur, avec une articulation nette du texte, et traduit admirablement toute la force de cette partition pour baryton solo et chœur à cinq voix. La surprise vient du soliste, qui n’est autre que Christoph Prégardien. Après avoir été un ténor fort apprécié dans le répertoire baroque et dans le lied, cet artiste a pris, l’âge venant, un tournant dont on connaît d’autres exemples très en vue : la chose semble s’être faite assez récemment, entre la fin de l’année 2017 et le début de l’année 2018, à en croire l’intitulé de certains disques. Evidemment, Christoph Prégardien ne s’est pas métamorphosé en baryton verdien, et son timbre est d’une couleur agréablement claire, et la voix a conservé une belle souplesse.
Le disque propose comme unique œuvre familière des mélomanes une version des Rücker Lieder de Mahler, également transcrits pour formation de chambre par le compositeur, chef et enseignant Gerd Müller-Hornbach. Soutenu par une trame instrumentale allégée, le ténor peut s’autoriser des phrasés sans effort, et l’on croirait qu’il chante Mahler comme il respire.
Revenant à la religiosité du Requiem initial, le Psaume 23 composé en 1910 par Zemlinsky, pour chœur et orchestre de chambre, sera sans doute également une belle découverte, par sa hauteur d’inspiration et par la sérénité qu’elle traduit. Mais c’est la totalité de ce disque qui semble envelopper l’auditeur dans sa chaleur apaisante et bienfaisante.