De son vivant, Franz Lehár n’hésita pas à adapter ses créations à Paris. Le Comte de Luxembourg y rencontra un vif succès dès 1912. Aussi, le public français s’est-il accoutumé à entendre ses opérettes en français. Est-il maintenant disposé à écouter ces petits chefs-d’œuvre dans la langue où ils ont été pensés ?
René, Comte du Luxembourg, tout ruiné qu’il est, fête le carnaval à Montmartre, au milieu des artistes et des femmes de Paris, dont Angèle, qui chante au Moulin-Rouge. Un prince russe lui offre 500 000 francs s’il épouse sur l’heure une femme inconnue, puis divorce. Ainsi Basil Basilovitch pourra-t-il l’épouser à son tour, puisqu’anoblie… Tout se terminera bien, évidemment, après de multiples rebondissements. Cette « Bohême du pauvre » (Tucholsky) fait suite à Die lustige Witwe [la Veuve joyeuse], l’opérette viennoise, avec son lot de nobles désargentés, insouciants et frivoles, de motifs slaves, avec l’élégance qui sied. Lehár a écouté Puccini, Wagner et Richard Strauss. Il sait y trouver ses couleurs orchestrales (y compris le célesta). La loi du genre impose nombre de valses, marches, mazurkas et polkas, qui sont autant de réussites. La version enregistrée est la révision 1937, amplifiée et réorchestrée. A signaler, quelques permutations de numéros dans le deuxième acte, pratique courante dans ce répertoire.
Année après année, C.P.O. nous offre les principales opérettes de Franz Lehár, et l’orchestre symphonique d’Osnabrück est rompu à l’exercice. Son chef permanent, Daniel Inbal, aime ce répertoire qu’il excelle à restituer dans les meilleures conditions. L’élégance, le raffinement, la joie de chanter et de jouer qu’il imprime à ses interprètes sont manifestes. Jeunes et prometteurs, la réputation de ces derniers a rarement franchi les frontières germaniques, mais leurs qualités individuelles et l’esprit de troupe sont essentiels à la réussite de cet enregistrement.
Les trois premiers rôles sont remarquables : René est chanté par Marco Vassali, jeune baryton, à la voix souple et généreuse. Marie-Christine Haase campe une Juliette adorable, soubrette à la voix piquante, avec des aigus clairs et aisés. Angèle, la cantatrice, est Astrid Kessler. Son air d’entrée, au deuxième acte, « Soll ich ? Soll ich nicht ? », suffit à la qualifier. Il faut citer aussi Daniel Wagner, le peintre, Brissard, ténor bouffe dont l’articulation est remarquable. Le célèbre « Mädel klein, Mädel fein » est un modèle de chant. L’autre ténor bouffe, Basil (Mark Hamman), le prince, ne participe qu’aux ensembles, parfaitement réglés. Eva Schneidereit, beau mezzo aux couleurs sombres, nous fait regretter qu’elle ne chante que le bel air « Was ist das für ‘ ne Zeit, liebe Leute », tant elle nous ravit dans son rôle de comtesse délaissée (Kokozow). Le chœur joue un rôle très important (5 numéros et 3 longs finales). Son chant est aussi soigné que dans des répertoires souvent considérés comme plus sérieux : L’entrain et la finesse dont il fait preuve sont rares. Une très belle réalisation, sans rivale, tant les qualités vocales, orchestrales et dramatiques sont réelles.
L’absence du livret dans la plaquette est à déplorer, particulièrement pour le public français.