Opéra féerique : mazette ! Pour les interprètes, Humperdinck a placé haut la barre. Il s’agit de faire rêver, d’enchanter, mais aussi de faire rire et de faire peur. C’est cela, féerique. L’écriture de l’opéra est toute entière tournée vers cela. Les harmonies magiques des interludes, la vivacité narrative de l’orchestre, le registre très vaste des émotions des deux protagonistes, le pittoresque impayable du père, de la mère et surtout de la sorcière sont au service d’un spectacle bien difficile à manquer tout à fait. Et de fait, il y a deux ans, le public de Glyndebourne semblait de belle humeur, gloussant et riant sans se gêner. Privés du spectacle, nous sommes moins à la fête. Car ce que nous entendons est d’une neutralité assez ennuyeuse. Les deux protagonistes sont ternes au possible. Lydia Teuscher est sans espièglerie et sans naïveté. Le timbre est mat. Le charme est convenu. Alice Coote fait songer par ses sons de gorge à une Quickly en culotte courte plus qu’au fanfaron Hänsel. Problème non pas seulement de voix, pour ces deux chanteuses de valeur, mais de caractérisation. La mère d’Imgard Vilsmaier est oubliée aussitôt entendue. Le père de William Dazeley semble passer une audition pour Wotan, tant il beugle ce rôle tout en drôlerie et en bonhomie. A croire que Glyndebourne est une vaste halle où s’époumoner est la seule solution. Mais le pire, c’est cette sorcière chantée par un ténor, en l’espèce Wolfgang Ablinger-Sperrhacke. Il semble faire rire le public, grimé qu’il est en Miss Doubtfire, mais vocalement, c’est simplement atroce. Si vous avez dans l’oreille le Mime de Gerhard Unger et les plus belles réussites de Peter Schreier, vous êtes encore en dessous du pire. Aucune ligne, aucune malice, aucune présence vocale, aucun sens du texte : simplement un histrionisme de très mauvais aloi d’une voix aigrelette et engorgée, raide comme un balai de sorcière. Si ce personnage fait peur, ce n’est pas pour ses hokus pokus, mais bien par son malcanto orrendo.
Pourquoi alors écouter jusqu’au bout ce pensum ? Sans doute pour la performance de Robin Ticciati. Le jeune chef britannique, né en 1983, démontre une belle énergie et une compréhension fine du discours musical de cette œuvre d’un brio incomparable. Dès 2014, c’est lui qui succédera à Jurowski comme chef principal de Glyndebourne : c’est une excellente nouvelle… mais il lui faudra apprendre à diriger ses chanteurs aussi bien que son orchestre.