Otto Klemperer a la réputation d’être l’exemple type du Kapellmeister allemand à la direction inflexible, raide et sévère. Cet enregistrement du Requiem allemand (1956) prouve que ce ne fut pas toujours le cas. S’il enregistra par trois fois le chef-d’œuvre de Brahms (Cologne (live, cette version), Vienne (live, 1958), Londres (studio, 1961)), on connaît surtout la dernière gravure -avec Schwarzkopf et Fischer-Dieskau- sous l’égide de Walter Legge (EMI).
Témoignage passionnant que ce disque à la tête des forces orchestrales de la radio de Cologne (aujourd’hui devenu le WDR Sinfonieorchester Köln) dans lequel Klemperer se montre moins marmoréen qu’à l’accoutumée. Il offre ici une interprétation tellurique et donne l’impression de faire sortir l’édifice du sol là où d’autres (Karajan, par exemple) construisent une solide charpente, poutre après poutre. Globalement assez rapide (près de 8 minutes de moins que la version de 1961), rien ne semble pouvoir arrêter ce Requiem que le chef unifie en conservant une pulsation (un pouls !) qui lui insuffle un caractère singulièrement organique (« Denn alles Fleisch, es ist wie Gras » !). Si la prise de son mono ne détaille pas toujours idéalement les masses, le chœur projette clairement le texte et les passages fugués sont construits avec une grande intelligence musicale. Hermann Prey, âgé de 27 ans, est déjà un jeune chanteur exceptionnel qui ne se laisse jamais intimider par le colosse qui le dirige ou par ces pages immenses, qu’il modèle avec une formidable humanité. Elisabeth Grümmer, du haut de ses 45 printemps, se montre quant à elle très touchante et se pose en sérieuse rivale de Schwarzkopf. Voici donc un enregistrement que l’on recommandera chaudement à qui voudrait approfondir cet inépuisable chef-d’œuvre.
C’est une Serenata notturna d’un autre âge qui nous est proposée en complément. La marche initiale est parfois plus pataude que majestueuse, le trait du menuetto paraît un peu forcé et le rondo final pourra faire doucement sourire pour son côté old fashioned (ou plutôt altmodisch). En « bonus », 2’38’’ de répétions du deutsches Requiem (« Ihr habt nun Traurigkeit ») qui ne présentent qu’un intérêt très limité –si ce n’est celui d’entendre Klemperer « assurer » lui-même la partie de soprano ! En comparaison des quelques 40 minutes qui nous permettaient d’entendre le tyrannique (mais terriblement efficace) Karajan faire répéter la Missa solemnis à Schwarzkopf, Ludwig, Gedda et Zaccaria (Testament), un document aussi court est bien insuffisant pour se faire une idée de la méthode de travail d’un chef comme on en fait plus.
Nicolas Derny