Quasiment réduit au seul Secret de Suzanne, vu Salle Favart en 2013 dans une production qu’accueillera Liège la saison prochaine, tandis que la Fenice associera l’œuvre à Agenzia Matrimoniale d’un certain Roberto Hazon, Ermanno Wolf-Ferrari attend son heure, qui finira bien par sonner. Pierre Médecin avait en son temps programmé I quattro rusteghi à l’Opéra-Comique, mais la maladie d’une des artistes avait fait capoter le projet. Du moins put-on voir à Montpellier en 2002 La vedova scaltra. Et depuis peu, quelques initiatives laissent rêver à une Wolf-Ferrari Renaissance. En juillet 2013, on a pu voir à Londres I gioielli della madonna, qu’on vient de donner en mai à Bratislava et que Fribourg affichera en mars 2016. Et la saison prochaine, l’Opéra du Rhin donnera sa chance à son tout premier opéra, une Cenerentola qui n’a rien de rossinien. Voilà qui permettra peut-être de juger plus sereinement un compositeur injustement dédaigné.
Oui, injustement, car son deuxième opéra, Die neugierigen Frauen (1903), alias Le donne curiose dans sa version italienne qui ne fut créée qu’en 1912 au Metropolitan Opera, est un petit bijou qui semble assurer la transition entre Falstaff (1893) et Le Chevalier à la rose (1911). De Falstaff vient l’allégresse d’une partition qui oppose nettement le groupe des hommes au groupe des femmes, mais en inversant la situation, puisque ce sont les hommes qui complotent en secret et les femmes qui cherchent à découvrir ce qu’on leur cache. Et comme dans l’ultime chef-d’œuvre de Verdi, un couple de jeunes amoureux fait le lien entre ces deux sphères, les exquis Florindo et Rosaura. Goldoni savait trousser une comédie, et la version allemande ne trahit pas l’esprit du Vénitien. C’est aussi la langue germanique (celle de la création, puisque la version italienne dut attendre une dizaine d’années pour voir le jour à New York sous la direction de Toscanini) qui jette un pont en direction de Richard Strauss : même volubilité que chez Ochs, Octavian et la Maréchale, où le récitatif cède parfois la place à de brusques bouffées mélodiques, orchestration légère mais pétillante et souvent néo-dix-huitiémiste.
Au plaisir de la découverte de l’œuvre s’ajoute le bonheur d’entendre une équipe de chanteurs dans des rôles qui n’exigent sans doute aucun format hors du commun, mais qui supposent avant tout une capacité à exprimer tout l’esprit de cette musique. Equivalents de Nannetta et Fenton dans Falstaff, Rosaura et Florindo sont ici fort bien tenus par Agnete Rasmussen et Andreas Weller, voix agiles comme il convient. Côté féminin, les trois commères sont admirablement défendues, avec l’Eleonora délicieusement grandiloquente de Violetta Radomirska, la piquante Colombina de Viktorija Kaminskaite et la Beatrice maternelle de Kathrin Göring. Outre l’Arlequin truculent de Hans Christoph Begemann, on remarque surtout les voix graves de Kay Stiefermann (Pantalone), Peter Schöne (Lelio) et Jürgen Linn (Ottavio). Autour d’eux gravitent toute une constellation de rôles secondaires. Toujours prêt à défendre des ouvrages rares, et pas seulement du répertoire allemand, Ulf Schirmer dirige avec entrain le Münchner Rundunkorchester dans cette version de concert, avec un résultat qui donne grande envie de voir l’œuvre en scène afin d’en confirmer l’efficacité théâtrale.