Après deux représentations en 2013 et 2014, la captation vidéo de la spectaculaire Flûte enchantée signée David Pountney apporte une vision différente de cette gigantesque réalisation disneyenne. Précisons qu’il s’agit de la captation de la première saison, donc sans les modifications et ajouts apportés l’année suivante. Entre La Belle au bois dormant et Alice au pays des merveilles, le côté un peu parc d’attraction passe plutôt bien à l’écran, et les marionnettes géantes se révèlent particulièrement photogéniques. Les personnages du Singspiel sont également bien servis par la vidéo, sauf peut-être Pamina, qui dans sa robe blanche courte, ses sandales et ses cheveux au vent, fait plus penser à une petite fille malsaine genre Baby Jane qu’à la pure jeune femme accompagnant Tamino dans ses épreuves.
Le spectacle était déjà extraordinaire sur place : la vidéo vient lui apporter une dynamique supplémentaire, dans la mesure où la réalisation de Felix Breisach est globalement fort bien faite, sauf les éclairages médiocres de la fin qui assombrissent trop le duo Papageno-Papagena. Des caméras très mobiles, des cadrages astucieux, des angles de prise de vue acrobatiques (notamment verticaux), un montage dynamique et bien sûr des gros plans des chanteurs apportent tout ce qui pouvait manquer à la vision directe, forcément plus éloignée. Le son est également de bonne qualité.
La distribution est légèrement différente de celles qui ont fait l’objet de comptes rendus. Le Papageno de Daniel Schmutzhard est tout simplement éblouissant de naturel et d’insouciante truculence, qui sait d’autant mieux devenir déchirante au moment de la scène de la pendaison. La voix est riche, la prononciation impeccable, la gestuelle amusante, bref un très beau titulaire à qui la réussite de cette captation doit beaucoup. Le Tamino de Norman Reinhardt et la Pamina de Bernarda Bobro ont l’un et l’autre la voix et le style parfaitement adaptés à ces deux rôles.
On retrouve avec plaisir le Sarastro sonore et particulièrement humain d’Alfred Reiter, et la Reine de la Nuit aérienne d’Ana Durlovski, qui depuis a continué à chanter ce rôle sur de nombreuses scènes internationales. Mais, à côté du feu d’artifice pyrotechnique de ses notes périlleuses, toutes parfaitement justes, on regrettera un léger savonnage de toutes les petites notes, trilles et appogiatures, peut-être dû aux conditions périlleuses d’exécution (elle chante son second air propulsée par un vérin à 10 mètres de haut). Dénise Beck est une irrésistible Papagéna, et Martin Koch donne une résonnance particulièrement douloureuse au rôle de Monostatos. Enfin, Magdalena Anna Hofmann (Première Dame) a montré depuis qu’elle avait bien l’étoffe dans grand premier rôle, tandis que ses deux consœurs Verena Gunz et Katrin Wundsam l’accompagnent avec beaucoup de musicalité. Musicalité et esprit mozartien sont des qualificatifs que l’on peut également appliquer aux trois enfants, chantés par trois cantatrices, et surtout à la direction de Patrick Summers, qui dirige harmonieusement et avec une grande sobriété le Wiener Symphoniker et le Prager Philarmonischer Chor. Une version qui se situe donc dans une fourchette haute, et qui ravira petits et grands, tout en montrant combien l’œuvre est susceptible de s’adapter avec bonheur, sans perdre de son aura, à tous les types d’espaces.
Notice d’accompagnement un peu pauvre (18 pages, quelques photos en noir et blanc, textes en allemand et anglais). Pour les textes en français, le lecteur est renvoyé au site de l’éditeur où il ne nous a pas été possible de trouver les textes annoncés. Aucun bonus proposé, alors qu’un documentaire sur les coulisses du spectacle aurait été très bienvenu.