En 2012, avec son disque consacré à l’Eternel Féminin, Marlis Petersen nous avait envoûtés. Autant dire que son nouveau récital de lieder était extrêmement attendu. La soprano allemande revient donc avec un ambitieux projet de trilogie discographique, « Dimensionen », dont le premier volume s’intitule « Welt ». Il semble bien loin, le temps où, pour lancer un disque sur le marché, il suffisait d’indiquer « Mélodies de X par madame Y ». Non, il faut désormais accrocher l’attention du mélomane en soulignant que le programme qu’on lui vend n’est pas le fruit du hasard mais qu’il a été élaboré après mûre considération. Et pas seulement parce que telle pièce s’enchaîne bien harmoniquement avec telle autre, mais parce que, sur le plan intellectuel, il est possible d’y trouver tout un jeu de correspondances, qui tiennent parfois du prétexte, mais qui peuvent aussi refléter une véritable réflexion.
Si l’ivresse exige désormais un flacon finement ciselé, soit. Et si cela permet en plus d’explorer des pages un peu moins fréquentées, c’est encore mieux. Malgré tout, le début de ce disque ne s’élève pas tout à fait jusqu’aux cimes espérées. Les premières plages, réunies sous l’enseigne « Le ciel et la terre », peinent à s’arracher à une certaine morosité, malgré les passages guillerets de « Die Sonne », de Schubert. Cette ouverture laisse un peu l’auditeur sur sa faim, et on se demande si, à chercher l’originalité dans le programme, le risque d’accumuler les fonds de tiroir a vraiment été évité.
Il faut donc attendre la section « L’homme et la nature » pour que les choses s’arrangent définitivement. A partir de la sixième plage, le charme opère pour de bon, avec une série de mélodies peut-être plus naïves au premier abord, mais qui enchantent de manière immédiate : l’exquis « Naturgenuss » de Schubert. « Die Hutte », qui enchaîne, est tout aussi charmant, enchaîné avec « Die Berge », qui met tout autant en valeur la voix de la soprano.
Evidemment, « Destin et conscience » aborde des rivages plus graves, plus tourmentés, mais non point exempts de séduction. On découvre l’originalité du compositeur suédois Sigurd von Koch, on suit, haletant, l’étonnant monologue « Sehnsucht » de Brahms. Et arrive l’heure des tubes : le Wagner (curieusement attribué à Schubert dans le livret !) est une page célébrissime, tout comme le sublime « Mondnacht » de Schumann.
Bien sûr, ces premières impressions se modifient d’écoute en écoute, et l’on finit par discerner les mérites de pièces qui n’avaient pas d’emblée convaincu : le tout premier Hans Sommer est bien beau, c’est vrai, et la chanteuse sait interpréter tous ces textes. Et l’on ne s’étonnera pas de voir Marlis Petersen aborder Wagner : d’une part, les Wesendonck Lieder n’appellent pas forcément une voix « wagnérienne », surtout dans leur version avec piano (elle est fort bien secondée par Stephan Matthias Lademann). Par ailleurs, cette voix d’abord légère semble peu à peu s’élargir pour aborder des rôles un peu plus dramatiques : après avoir été Lulu à Munich et à New York, elle a été Leonore de Fidelio en tournée avec René Jacobs, de Baden-Baden à Paris, et elle a même incarné le rôle-titre de Maria Stuarda au Theater an der Wien. Même si elle n’a pas toujours convaincu nos collègues au fil de ces incarnations, le lied reste un domaine où elle peut régner en souveraine.