Divette impériale
par Christophe Rizoud
Quel lien existe-t-il entre Edmée Favart et la salle du même non ? Aucun si ce n’est un pan de répertoire qui caractérise l’art de cette soprano française dont Malibran ravive le souvenir au moyen d’une compilation d’airs d’opérette.
Née en 1886 à Paris, Edmée Favart était une enfant de la balle. Son père, baryton, fut un élève de Fauré et sa mère, Zélie Weil, une étoile de café-concert qui triompha aux côtés d’Yvette Guilbert. D’une longue carrière – elle débuta de façon fortuite en 1892 à l’âge de 6 ans sur la scène du Grand Théâtre d’Alger et quatre ans avant sa mort, en juiillet 1937, chantait encore la Fille du tambour-Major à la Gaité-Lyrique – il faut retenir la large part consacrée à la musique légère. Mais pas seulement, la chronologie établie par Jacques Bernard dans le livret qui accompagne le CD laisse découvrir de 1915 à 1920 un séjour à l’Opéra-Comique dans des rôles plus lourds : Mimi (La Bohème), Micaëla (Carmen), Rozenn (Le Roi d’Ys), Cherubin (Les Noces de Figaro), …
Le premier titre de gloire d’Edmée Favart reste cependant d’avoir créé le rôle de Ciboulette. Pour Pathé, elle enregistra en 1929 et 1932 des extraits du chef d’œuvre de Reynaldo Hahn, repris dans cette compilation. On ne peut s’empêcher de les écouter un pincement au cœur. Voilà donc la voix originelle de Ciboulette, une voix qui surprend par son relief. Si le ton est légèrement pincé, ce n’est pas l’accent vinaigré d’une colorature à la Mady Mesplé mais bien la fraîcheur espiègle de la jeune marchande d’Aubervillers, sur laquelle la prononciation châtiée du français appose un label de qualité.
Au plaisir de la rencontre avec ce soprano délicieux, qui combine à la parisienne gouaille et élégance, s’ajoute celui de la découverte de pages oubliées : « Ma mère aux Vignes » de Madame Favart qui ouvre comme un clin d’œil le récital, « C’est Rosalie » dont le refrain une fois installé dans la tête ne veut plus partir et cet extrait des Travaux d’Hercule dans lequel Edmée Favart réussit le tour de force d’égrener les notes en riant. A part, dans un autre registre, le « E scherzo, od è follia » de Carlo Bergonzi, on n’avait jamais entendu pareil exploit.
Parmi les airs qui ont mieux réussi traverser le temps, on trouve une lettre de La Périchole à la clarté inattendue mais au chic indiscutable et « L’amour est un oiseau rebelle » dont Susan Graham a donné au disque une interprétation remarquable. La comparaison, compte tenu de la légèreté de la voix et du léger crachin qui strie l’azur sonore; aurait pu tourner à la défaveur d’Edmée Favart. Il n’en est rien. Même daté, le chant de la soprano continue d’exercer un charme indéfinissable, celui de la boîte rouge des pastilles Pullmoll et des affiches Dubonnet. Edmée Favart faisait partie de ces divettes de la 3e république qui contribuèrent à élever au rang d’art la musique dite légère. Elles disparues, ce fut la fin d’un genre. La Gaité-Lyrique à Paris est aujourd’hui le temple des musiques électroniques.