L’ensemble vocal et instrumental britannique La Nuova Musica nous propose un album dont le programme est a priori alléchant : la mise en musique d’un même texte – Dixit Dominus, tiré du psaume 109 – par deux très grands compositeurs de l’époque baroque, Handel et Vivaldi avec pour complément un motet à voix seule de Vivaldi – In furore iustissimae irae – bien connu pour sa « pyrotechnicité » vocale. Ces textes ont comme point commun une bonne quantité de mots très évocateurs se prêtant bien à des illustrations musicales parlantes comme l’époque baroque en raffolait, procédé que les musicologues nomment « figuralisme ». Examinons tout cela dans l’ordre.
Le motet pour chœur et orchestre Dixit Dominus de Vivaldi, écrit au début des années 1730, a longtemps été attribué à un autre compositeur et ce n’est que récemment qu’il a réintégré son catalogue d’origine. Constitué de 11 courtes séquences où s’enchainent très classiquement chœurs et airs de soliste, il ne semble pas remettre fondamentalement en cause ce que nous apprécions chez le Prêtre roux, ni dans un sens, ni dans un autre. Peu de morceaux accrochent l’oreille et l’ensemble, joli au demeurant, donne une certaine impression de déjà entendu. Seul le duo à deux sopranos Gloria Patri et Filio se détache peut-être du doux ronron produit par le reste.
Nous passons ensuite au motet pour soprano bien connu In furore iustissimae irae, toujours de Vivaldi, qui tient bien ses promesses et nous permet de goûter à la voix de Lucy Crowe, parfaite dans ce registre demandant pour le moins de l’agilité vocale et de la puissance. De plus, la chanteuse n’hésite pas à produire des ornements à des parties déjà bien chargées et à s’aventurer, avec plus ou moins de réussite selon les moments, dans l’extrême aigu de son registre. Mais ne boudons pas notre plaisir et admirons cet exemple d’Opéra à l’Église bien interprété.
La troisième partie du programme de ce disque est le Dixit Dominus de Handel, écrit à Rome en 1707 par le jeune musicien alors en voyage d’étude. La comparaison avec l’œuvre homonyme du Vénitien est sans appel : par l’inventivité, la variété et la profondeur de son écriture, le Saxon l’emporte haut la main. Le monumental chœur d’entrée, de près de 6’, est déjà très au-dessus des passages choraux de l’Italien, sans parler du surprenant Dominus a dextris tuis, pour 5 solistes et chœur, qui se déroule sur un flot continu de croches. Le sommet de l’œuvre est constitué par l’extraordinaire duo pour deux sopranos et chœur De torrente qui tutoie les anges et que Bach n’aurait certainement pas renié. Tout le reste du motet est de très bon niveau.
Mais alors pourquoi seulement deux cœurs ? D’abord globalement pour les voix des jeunes solistes de Nuova Musica qui manquent encore d’assise et d’expressivité dans les passages solistes et de cohésion dans les ensembles et qui laissent très souvent l’auditeur sur sa faim. Ensuite sur certains mauvais choix des sopranos comme celui décidé pour le De torrente de Handel où l’idéal est de faire chanter deux femmes aux voix les plus identiques possible, ce qui n’est pas le cas ici et qui brise l’effet voulu par le compositeur au début du morceau où la seconde voix « sort » littéralement de la première. De plus, la prise de son n’est pas sans défaut : le mélange des instruments et des voix manque souvent de clarté dans les ensembles et le résultat global donne l’impression d’un certain éloignement. Pour continuer, il faut être réaliste : pour les deux dernières œuvres, la concurrence discographique est énorme (écoutez notamment Sandrine Piau dans Vivaldi) et les bonnes versions du Dixit Dominus de Handel très nombreuses. Pour finir avec du positif, soulignons le fait que les musiciens sont tout de même excellents et que les options choisies en matière de tempi et d’articulations par David Bates pour cette production d’Harmonia Mundi USA sont globalement très valables. Il suffirait de presque rien… pour faire un excellent album.