Lors des représentations données à Parme à l’automne dernier, notre collègue Christophe Rizoud n’avait pas été insensible à l’esthétique sobre et majestueuse du Don Carlo réglé par Cesare Lievi. Faute de pouvoir rendre compte du DVD également publié par Dynamic, le CD qui fait écho à ce spectacle risque fort de conduire à un verdict plus sévère, le jugement des oreilles étant désormais libre de toute influence du plaisir offert aux yeux.
Quant aux voix, en tout cas, nos avis se rejoignent. Le baryton Vladimir Stoyanov domine la distribution, en termes de pure beauté vocale comme sur le plan de l’adéquation entre les moyens et le personnage. Voilà un Posa jeune et fougueux, qui n’est pas pour l’infant un mentor d’une génération plus âgé, mais bien un camarade un peu plus raisonnable.
Michele Pertusi, qui figure en tête de la distribution sur le boîtier, a largement l’âge de Philippe II, mais ce n’est peut-être pas vraiment une qualité, puisque la voix de celui qui une fut grande basse rossinienne est désormais usée, qu’elle bouge beaucoup, et que les graves en sont peu audibles, voire faux, ce qui prive le roi d’une bonne partie de l’autorité qui devrait le rendre redoutable. Certes, le phrasé est là, mais cela ne suffit pas tout à fait.
José Bros, qui interprète régulièrement le rôle de Carlo(s), n’a sans doute pas la voix la plus séduisante au monde : l’aigu est assez acide, ce qui peut coïncider avec la conception d’un personnage névrosé comme on peut en proposer certains metteurs en scène, mais qui n’est pas forcément très agréable à l’écoute seule. Surtout, après tant d’illustres titulaires qui ont légué des versions de référence, pourquoi ajouter cette incarnation-ci ?
C’est aussi la question qu’on est en droit de se poser pour les deux grands rôles féminins. Marianne Cornetti possède une voix large et sonore, mais ne serait-il pas grand temps que l’on cesse de confier Eboli à des mezzos qui n’ont pas, ou plus, la maîtrise de la vocalisation ? L’ardeur de l’actrice ne suffit pas à faire tout accepter, et certainement pas une chanson du Voile se concluant sur un aigu superbement faux, ni même les aigus redoutablement hululés par un vibrato envahissant dans « O don fatale ».
Voix intéressante, Serena Farnocchia est une Elisabetta plus extravertie, moins accablée que ce n’est souvent le cas. Moins de noble pudeur, moins de drapé majestueux, ce qui peut surprendre dans « Tu che le vanità », où l’adresse à Charles-Quint prend l’allure d’imprécations véhémentes plutôt que d’une supplique.
Quant au chœur, il paraît étonnamment léger pour ce qui était à l’origine un grand opéra à la française : problème lié à la prise de son, ou au nombre d’artistes réunis sur scène ? Daniel Oren dirige la partition avec des lenteurs inaccoutumées, qui certes permettent de mieux entendre quelques détails de l’orchestration, mais semblent par moments manquer un peu de nerf. En bridant son orchestre sur le plan du volume, il obtient néanmoins des résultats heureux, avec ceux de ses chanteurs qui veulent ou peuvent ne pas faire du volume à plaisir.
Autant le DVD peut se justifier, autant on s’interroge sur la nécessité de publier cette énième Don Carlo en CD.