La soprano roumaine Elena Mosuc est déjà connue au disque et au DVD, mais surtout comme une mozartienne d’exception (sa Reine de la nuit avec Harnoncourt nous a tourné la tête) et comme une Gilda toute de pureté dans la version de Zurich, où elle donne crânement la réplique à Leo Nucci et Piotr Beczala. C’est en colorature dramatique, qu’elle affronte le répertoire où sa voix sera le mieux mise en valeur : Donizetti et ses héroïnes, reines ou folles, quand elles ne sont pas les deux à la fois. Des rôles qui exigent une aisance totale dans l’ornementation en même temps qu’un vrai souffle de tragédienne. La quadrature du cercle ?
Armée de tout son courage, Elena Mosuc se lance à l’eau avec un aplomb qui fait du bien à entendre. Dans des rôles marqués par les plus grandes chanteuses du siècle, où les chausse-trappes sont légion, elle ne frémit pas et donne tout ce qu’elle a dans le ventre. Sa Lucreza Borgia est d’une virtuosité étourdissante, avec des vocalises à la fois précises et naturelles ; dans Maria Stuarda et Anna Bolena, c’est la puissance dramatique et la vérité de l’incarnation qui frappent. L’artiste sait aussi se faire plus tendre dans les cantilènes de Roberto Devereux. Sommet du disque, les extraits de Lucia di Lammermoor (joués avec l’harmonica de verre voulu par le compositeur et souvent remplacé par une flûte) dévoilent ce que le chant d’un être humain peut procurer comme émotion lorsqu’il s’envole vers les hauteurs stratosphériques. Norma est un peu en retrait, mais tout-à-fait honorable, et mieux que ce qu’on a entendu chez pas mal de ses collègues ces dernières années. L’accompagnement de l’orchestre croate est de qualité, avec une belle mise en valeur de détails instrumentaux comme la harpe, les « comprimari » sont satisfaisants, et les chœurs sont bien en place, quoiqu’un peu forts par moments.
Le lyricophile a donc bien des raisons de se réjouir de cette nouvelle parution, mais il y a un bémol. Malgré toutes ses qualités d’abattage, de beauté du son et de maîtrise technique, Elena Mosuc souffre d’une faiblesse : elle n’a pas un grain reconnaissable immédiatement, comme Callas, Caballé ou Sutherland pouvaient s’en targuer. Dans une interview donnée à Forum Opéra en 2009, la chanteuse déclarait : « l’humilité aussi doit soutenir votre chant, vous n’êtes que l’intermédiaire, un medium en quelque sorte ». Beau credo, mais qui a son revers : la voix est un peu anonyme, blanche par moments. De plus, Elena Mosuc manque de cette capacité qu’ont les plus grands belcantistes de « colorer » le son, indépendamment de leur timbre, d’habiter ces longues lignes vocales en leur donnant une vie propre, organique. Cette petite réserve empêche la récompense suprême, mais l’album reste de grande qualité. Et on espère qu’une caractérisation vocale plus aboutie viendra plus tard. Par exemple au moment de graver les intégrales de tous ces chef-d’œuvres donizettiens et belliniens. Elena Mosuc vaut la peine que les maisons de disque lui offrent cette opportunité.