« Furore! Fanatismo! Entusiasma!” [traduction inutile !] Ton Marino Faliero fut jugé comme ton Chef-d’oeuvre », écrivait l’impresario Lanari à l’issue de la création italienne, à Florence en 1836, de ce quarante-neuvième des soixante-dix ouvrages lyriques du Cygne de Bergame. Opéra crépusculaire, Marino Faliero se révèle superbement uni dans ce que Verdi nommera plus tard « la tinta », la couleur musicale, magistralement réussie sombre par un Donizetti qui, six mois plus tard, trouverait pourtant de quoi tirer de son génie inépuisable Lucia di Lammermoor !
Marino Faliero est, pour une fois, un opéra d’hommes et trouve ainsi son équilibre, entre basse, baryton et ténor. Le soprano y possède un rôle en retrait et ne termine pas l’ouvrage par un grand air final, comme c’était presque toujours le cas à l’époque, mais par une brève scena, fort dramatique et impressionnante du reste. C’est ce même splendide Teatro Donizetti de Bergame, où a été réalisé cet enregistrement de l’opéra, qui avait déjà effectué en 1966, la première et glorieuse reprise moderne de l’ouvrage.
Pivot du drame car chef de la conjuration contre le tyrannique Conseil des Dix, est le doge Faliero. Giorgio Surian, à défaut de la profondeur attendue dans ce rôle notablement marqué par Agostino Ferrin et Cesare Siepi, lui confère une certaine autorité, et son vibrato apporte une fragilité appartenant également au personnage. Si l’aigu est un peu aigre, on a toujours la chair de poule lors de la grande cabalette finale du deuxième acte, le mérite en revenant surtout à l’inspiration donizettienne.
Vieux compagnon d’armes du doge et instigateur de la conjuration, Israele Bertucci, chef de l’Arsenal est Luca Grassi, baryton au beau timbre « gras » et chaleureux avec quelque chose d’âpre convenant à merveille à l’amertume du personnage. Un grave de cuivre, un médium à la belle pâte homogène, un aigu à toute épreuve et une technique assumant les vocalises dramatiques du Romantisme, en font le meilleur chanteur de la distribution. L’altier doge Faliero de Giorgio Surian trouve en lui un noble et vibrant compagnon de conspiration, et l’on se réjouit de voir à son répertoire sept autres rôles donizettiens, dont l’ardent Enrico di Chevreuse (Maria di Rohan) qui semble idéal pour lui.
Le troisième personnage masculin important est Fernando, le neveu du doge, combattant pour l’honneur de son oncle et mourant dans ses bras. Ivan Magrì possède un voix de ténor légère mais capable d’une certaine chaleur. Si un certain vibrato assorti de coups de glotte apparait expressif jusqu’à un certain point, on craint parfois la défaillance… qui ne survient heureusement pas. Dans ces conditions, il vaut mieux (hélas !) qu’on ait amputé ses cabalettes de leur répétition (mais même un Blake, pourtant champion d’une « intégralité rossinienne », ne tentait pas le da capo de la seconde cabalette de Fernando).
La dogaresse effacée, épouse infidèle puis repentie dans l’émouvante catharsis finale, est Rachele Stanisci. Ce soprano possède un appréciable timbre corsé, charnu et « de gorge », devenant coupant et laid dans l’aigu évidemment engorgé (danger de ce type de voix). On est en revanche agréablement surpris de découvrir une belle ligne de chant dans les moments plus purement lyriques, ainsi qu’une capacité à vocaliser, composant une Elena Faliero d’autant plus dramatique que son interprète possède aussi à son répertoire Aida, Tosca et Adriana Lecouvreur !
Parmi des rôles secondaires bien tenus (au point que Steno a une voix aussi ingrate que son rôle est odieux), on remarque avec plaisir Domenico Menini, ayant la charge de chanter en soliste la charmante barcarolle du gondolier ouvrant le deuxième acte.
Les choeurs bergamasques se montrent efficaces et l’orchestre du Teatro Donizetti sonne bien, dans cette grande salle qui résonne toujours un peu comme si elle était vide, et sait laisser fleurir la poésie propre à l’instrumentation donizettienne.
Bruno Cinquegrani suit hélas la tendance actuelle de diriger précipitamment, ce qui retire de l’impact dramatique à bien des passages. L’impressionnant choeur des « figli della notte » (les gondoliers se disant « fils de la nuit »), pris à toute allure, voit son mystère bousculé et amoindri. Il en va de même pour le poignant duo de la confession à la fin de l’opéra. Plus grave et impardonnable est le fait de fusiller le grand concertato du Finale Primo qui, bousculé dans sa progression, ne connaît pas la délicate fusion des différentes lignes vocales, et se trouve — tout autant que nous — déconcerté, ce qui est le comble pour un ensemble concertant !
Heureusement, le chef trouve par ailleurs la juste respiration donizettienne, complétant ainsi un nouvel enregistrement non négligeable de ce chef-d’œuvre au romantisme sombre.