Mars 1825, le théâtre de Weimar brûle. L’histoire serait fait divers si l’institution n’avait été autrefois dirigée par Johann Wolfgang von Goethe. Passé l’accablement légitime que tout homme ressent à voir disparaitre en fumée trente ans de souvenir, l’auteur de Faust, alors âgé de 75 ans, entreprend de faire renaître le phénix de ses cendres. Les intrigues politiques et la mesquinerie des courtisans auront raison de son entreprise. Peu importe. Comme l’affirme l’écrivain devenu philosophe, « un théâtre n’a pas à être un chef d’œuvre… Ce sont les comédies, les tragédies, les opéras qu’on y joue qui ont droit ou non au titre de chefs d’œuvre ».
Là, de toute façon, n’est pas le sujet essentiel du nouveau roman de Jean-Yves Masson. L’incendie – on ne peut plus accidentel – du théâtre de Weimar est d’abord prétexte à mettre en mots des personnages que l’on sent cher à l’auteur : Goethe évidemment mais pas seulement. Sont également convoqués sur la scène romanesque Johann Nepomuk Hummel, compositeur d’une douzaine d’opéras, élève de Mozart, de Haydn et de Salieri et considéré comme l’un des meilleurs pianistes de son temps ; Johann Peter Eckermann, poète et auteur connu pour ses Conversations avec Goethe auquel il servit de secrétaire personnel. ; plus quelques autres dont on entrevoit sinon le visage du moins la silhouette. Tous enfants du siècle des lumières comme en témoignent des conversations nourries de considérations propres à l’époque. Autour des ruines fumantes du bâtiment, les langues comme les esprits s’échauffent. Alors que Goethe esquisse certaines idées qui cinquante ans plus tard donneront naissance à Bayreuth, surgit aux alentours de la centième page La Flute enchantée, autre sujet cher à Jean-Yves Masson. Une hypothétique suite puis une représentation secrète sont l’occasion de proposer une nouvelle analyse de l’opéra de Mozart.
La réalité rejoint la fiction lorsque le combat entre Sarastro et la Reine de la nuit s’apparente à celui de Goethe confronté aux manœuvres de Caroline Jagemann, la favorite du Grand-Duc de Weimar. Au contraire de La Flûte enchantée, les ténèbres l’emporteront finalement sur la lumière. Le nouveau théâtre ne sera qu’un « banal édifice achevé en grande hâte ». Rappelé à Londres par son père, Doolan, le narrateur, quitte Weimar l’esprit plus éclairé qu’à son arrivée, tel le lecteur parvenu à la dernière page de ce roman.