Roberto et Angela ne forment pas le seul couple de la scène lyrique, loin de là. Un peu moins sous le feu des projecteurs médiatiques, Hjördis Thébault et Pierre-Yves Pruvot font eux aussi leur chemin conjointement à la ville comme à la scène : on a pu les voir en Tosca et Scarpia à Reims en 2008 (puis en tournée), à nouveau réunis dans l’Orfeo ed Euridice de Haydn à Tourcoing, ils ont enregistré ensemble Mathilde de Guise de Hummel (voir recension)… Ils ont eu l’admirable idée de rassembler des duos extraits d’opéras français injustement tombés en désuétude, et ce projet vaudrait à lui seul tous les bravos. Le chef Didier Talpain ne se contente pas de diriger l’orchestre dans cette entreprise ô combien méritoire d’exhumation d’œuvres négligées, il signe aussi le texte d’accompagnement, riche en informations sur les conditions de la création lyrique à Paris dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Le timbre sombre de Hjördis Thébault fait ici merveille : de son passé de mezzo, elle a gardé une aisance dans le grave qui lui confère exactement la couleur qui convient à ces rôles de soprano dramatique, si fréquents dans le répertoire français du XIXe siècle. Saine et exempte de tout signe de fatigue, la voix est ici parfaitement maîtrisée, d’un galbe élégant, et ne se réfugie jamais dans le cri, même dans les éclats les plus violents qu’exige l’opéra de Paladilhe qui donne son titre au disque. La voix de Pierre-Yves Pruvot est peut-être moins exceptionnelle, son registre étant plutôt très bien représenté de nos jours parmi les jeunes chanteurs francophones. Il serait néanmoins injuste de négliger pour autant les mérites d’un baryton à la diction et au style impeccables, à l’aise du haut en bas de la tessiture, à qui les rôles nobles vont comme un gant, mais qui sait s’encanailler avec un personnage comme Michel dans Le Caïd.
Le disque s’ouvre avec l’élan irrésistible du duo qui, dans le Charles VI de Fromental Halévy, oppose le roi à sa pétulante maîtresse Odette de Champdivers, lors d’une partie de cartes particulièrement animée. Tout aussi monarchique, mais dans une atmosphère bien différente, l’affrontement de Catherine d’Aragon avec son époux dans Henry VIII, chef-d’œuvre de Saint-Saëns dont l’intrigue se situe historiquement juste avant celle d’Anna Bolena. Il y a un petit côté Michel Legrand dans le duo extrait d’Eve (qui n’est pas à proprement parler un « opéra romantique » mais dont la musique a quelque chose de si lyrique qu’on aurait mauvaise grâce à en contester la présence sur ce disque) : la manière dont Massenet superpose les voix en marches harmoniques n’est pas sans évoquer Les Parapluies de Cherbourg. Moins biblique, mais d’une religiosité infiniment plus austère, Polyeucte ménage un moment de tendresse et de regrets dans le dialogue entre Pauline et Sévère. On a bien oublié Emile Paladilhe, pourtant auteur d’un des succès durables de l’Opéra de Paris ; la patrie dont il est question dans son œuvre est la Flandre de Don Carlos où un groupe de gentilshommes se soulève contre la domination espagnole. Le duo du tambour-major et de Fatma fait regretter une fois de plus que l’on ne donne plus guère Le Caïd, hors quelques courageuses initiatives isolées. Enfin, dans Le Mage, Hjördis Thébault renoue avec les rôles de mezzo, puisque elle incarne Varedha, la prêtresse dédaignée par le héros : ce splendide extrait rend plus impatient encore d’entendre la recréation de ce rarissime opéra à Saint-Etienne en novembre prochain !